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Cette communication vous est adressée par un collectif d’associations actives dans le domaine des migrations et dans la défense des droits humains au Maroc. Cette coalition coordonnée par le GADEM vous a transmis un rapport qui capitalise des informations de première main sur le respect et l’application des droits des travailleurs migrants garantis par la Convention.
L’analyse menée dans ce rapport est développée sur la base d’une réflexion conjointe des différentes organisations impliquées et des nombreux témoignages recueillis sur le terrain auprès des migrants et des travailleurs sociaux engagés à leurs côtés. Elle s’appuie également sur d’autres sources notamment juridiques, presse et d’autres rapports officiels sur la situation des travailleurs migrants au Maroc.
Quatre gouvernements se sont succédés pour la gestion des affaires publiques en une décennie : le gouvernement Driss Jettou I (2002-2004) et II (2004-2007), le gouvernement Abbas El Fassi (2007-2012) et le gouvernement Abdillilah Benkirane (depuis 2012). Quatre gouvernements qui ont tous repris la même politique répressive dans ce qu’ils considèrent comme la stratégie gouvernementale ‘de gestion des flux migratoires’.
Une décennie marquée par une répression ciblée, récurrente et souvent violente contre les ressortissants de pays subsahariens en situation administrative irrégulière. Plusieurs dizaines de personnes ont été tuées, du fait de l’intervention directe des forces de l’ordre marocaines et espagnoles, comme ce fut le cas lors des événements dramatiques de Ceuta et Melilla en 2005. Plusieurs centaines d’autres personnes ont été victimes de violence physique et morale pendant cette décennie. Cette violence est loin d’être révolue comme en témoigne les tragédies de ces derniers mois qui ont été particulièrement violents pour les migrants au Maroc. Depuis que nous avons rédigé ce rapport, d’autres migrants ont été victimes de cette répression : le 30 juillet 2013, Alex Toussaint, professeur d’université congolais, vivant en situation régulière au Maroc depuis plusieurs années, a trouvé la mort après avoir été poussé d’un bus par un agent de police alors qu’il était conduit à la frontière algérienne avec de nombreuses autres personnes arrêtées le matin même à l’aube à Tanger, sans être passées par un commissariat à aucun moment.
Le 12 août 2013, un jeune Sénégalais a été assassiné de plusieurs coups de couteau pour avoir refusé de laisser sa place dans un bus. Aux dernières nouvelles l’assassin présumé aurait été traduit devant le tribunal militaire !
Il vous revient, Mesdames et Messieurs, membre du comité, d’interpeller le gouvernement marocain sur le sort des enquêtes relatives à ces deux drames atroces.
Il vous revient également de demander au gouvernement marocain de donner des informations précises sur les enquêtes menées suite aux nombreuses exactions à l’encontre des migrants d’origine subsaharienne. Il vous revient enfin d’inviter le gouvernement marocain à donner des éclaircissements sur les mesures prises contre les auteurs de ces exactions.
Le gouvernement marocain devrait aussi expliquer les mesures prises pour mettre en œuvre les recommandations des organes spéciaux des Nations-unies.
Nous le disons de manière claire, la violence est récurrente, et la déclaration, par le gouvernement marocain, que les allégations des migrants, de leurs organisations et des organisations de soutien sont infondées, pourrait être considérée comme un indicateur sérieux que cette violence est institutionnalisée voir systématique.
Le contexte change, le printemps est passé par les rues de Rabat et des autres villes marocaines, comme il est passé dans celles de la Tunisie, de l’Égypte, de la Libye, du Yémen… La constitution de 2011 introduit certes, les principes de non-discrimination, de droit à la vie, de la redevabilité des dépositaires de la puissance publique, etc. Mais même dans ce nouveau contexte, l’équité et la justice ne semblent pas trouver leurs chemins vers les responsables directs et indirects des exactions commises contre les ressortissants de pays subsahariens et, principalement, ceux en situation administrative irrégulière.
Nous avons, certes, constaté, entre 2009 et 2011, une amélioration dans le traitement réservé par les autorités aux femmes enceintes et aux enfants, mais en 2012, les autorités marocaines ont repris les mauvaises pratiques que nous avons documentées et dénoncées ces dernières années, et continuent à ne pas respecter les procédures qui permettraient aux migrants en situation administrative irrégulière de pouvoir exercer un recours. Les migrants continuent à se heurter à des refus d’enregistrer leurs plaintes lorsqu’ils sont victimes d’agressions par des particuliers ou lorsqu’ils subissent des actes de violence au moment de leur arrestation par les forces de l’ordre et dans les commissariats. Les migrants sont encore victimes d’arrestations au faciès, de détentions arbitraires et d’expulsions collectives dans des États où ils ne sont pas admissibles.
La fréquence de propos discriminatoires, voire ouvertement racistes, à l’encontre des migrants d’origine subsaharienne, notamment publiés dans la presse marocaine, s’apparente à une campagne médiatique et politique récurrente, visant à stigmatiser ces migrants. Malgré la dénonciation des associations, peu de mesures ont été prises pour que ces propos et actes soient sanctionnés dans les faits. La réponse du Maroc au Comité sur ce point reflète le désintéressement sinon le déni du racisme institutionnel persistant dans ce pays. Loin de présenter la moindre mesure concrète pour y mettre un terme, le Maroc se contente de citer une étude réalisée, par une association, il y a 6 ans, sur les perceptions entre Marocains et « subsahariens », alors que c’est avant tout au niveau politique et institutionnel qu’il s’agit de combattre les discriminations.La protection des droits des migrants comme celle des victimes de traite sont inexistantes, d’autant plus que les autorités marocaines ont souvent recours à l’alibi de lutter contre les trafiquants et la traite des êtres humains pour justifier la répression contre les migrants. Cet amalgame alimente une confusion avec de graves conséquences sur l’effectivité des droits humains.
Nous avons rapporté suffisamment de témoignages et d’éléments d’analyse dans notre rapport collectif pour permettre aux experts du comité d’avoir une idée précise sur les circonstances qui entourent la condition des migrants en situation administrative irrégulière au Maroc.
Il paraît évident aujourd’hui que lorsque le Maroc a ratifié la Convention en 2003, il se concevait avant tout comme un pays d’émigration et ne s’engageait que sur les questions de protection des ressortissants marocains à l’étranger. Pour autant et comme le rappelle le Maroc dans son rapport, celui-ci est aussi un pays de transit et de destination et se doit d’assurer la protection des travailleurs migrants présents sur son territoire.
Notre espoir réside dans le fait que les autorités marocaines puissent refonder leur stratégie dite de gestion des flux migratoires pour l’assujettir aux principes transversaux promus par la Convention, à commencer par une application effective des garanties prévues par l’arsenal juridique pertinent et par un amendement des dispositions contraires à la Convention.
Notre espoir également est que les autorités marocaines puissent ouvrir un dialogue constructif avec les organisations et syndicats de migrants, ainsi qu’avec les organisations de la société civile dans le but de tracer de manière concertée les contours de politiques publiques respectueuses des principes promus par la nouvelle constitution marocaine.
Nous continuerons pour notre part, en tant qu’organisations de la société civile, à mener nos missions de solidarité active et de témoignage, malgré le dénigrement et les obstacles que fait peser sur nous une administration omnipotente et non encore comptable de ses actes devant les institutions démocratiques.
Le GADEM, pour la Coalition de la société civile marocaine pour la défense et la protection des migrants.