Doucoure Abdoulaye, jeune migrant malien, est aujourd’hui en chômage forcé. Il vient d’être licencié ainsi que ses quatre collègues, eux aussi migrants subsahariens en séjour irrégulier. Motif du licenciement : avoir osé demander à leur patron une attestation de travail.
« Il y a une année, j’ai commencé à travailler dans une société opérant à Kénitra en tant que soudeur métallier. Un boulot très difficile et dangereux puisqu’on travaille sans équipements adéquats pouvant garantir notre sécurité. Même l’eau potable n’existe pas sur le lieu de travail et je dois la ramener de chez moi tous les jours. Je travaille 44 heures par semaine du lundi au vendredi pour un salaire de 2.500 dirhams par mois.
Dernièrement, j’ai demandé ainsi que des collègues à notre patron de nous fournir une attestation de travail, mais ce dernier a refusé catégoriquement de nous procurer quoi que ce soit même une attestation de stage et il a fini par nous mettre à la rue sans aucun droit à des indemnités. Pis, il nous a dit d’aller nous plaindre auprès de l’inspection du travail», souligne Doucoure Abdoulaye.
Pour ce dernier, cette expérience n’est pas la première et ne sera sûrement pas la dernière. « Je suis entré au maroc en 2016 via les frontières terrestres maroco-algériennes dans le but de traverser la Méditerranée, mais je n’ai pas réussi et j’ai décidé d’y rester. Depuis, j’enchaîne les boulots dans plusieurs secteurs et le constat est le même : de longues heures de travail, des salaires médiocres, des conditions de travail pénibles et des patrons qui détestent que l’on parle d’attestions de travail ou de stage », nous a-t-il confié. Et d’ajouter : « Il y’a trop de racisme. Les patrons nous exploitent et nous rappellent souvent qu’on n’est pas chez nous. Il suffit pour avoir une idée de comparer nos salaires et ceux de nos collègues marocains. Est-ce que vous croyez que les 2.500 DH que je touche par mois sont suffisants pour payer à la fois le loyer d’une chambre (900 DH par mois), le transport (220 DH par mois devenus 440 DH pendant le confinement) et envoyer de l’argent à ma famille chaque fin de mois ? ».
Pour Franck Iyanga, secrétaire général de l’ODT travailleurs immigrés au Maroc, ces manquements au Code du travail vis-à-vis des migrants sont une pratique récurrente même à l’égard des migrants en situation administrative régulière. « Ces derniers travaillent souvent dans les secteurs du bâtiment, d’artisanat, de pêche ou d’agriculture sans contrat de travail, sans protection sociale et sans avoir droit au SMIG. C’est de l’exploitation qui ne dit pas sans nom », nous a-t-il expliqué. Et de préciser : « Pour les migrants irréguliers, la situation est encore pire puisqu’ils doivent d’abord trouver du boulot et souvent, ils trouvent du travail dans le secteur informel où ils sont victimes de longues heures de travail, d’inégalités au niveau des salaires et de conditions de travail inappropriées. Bref, ils sont plus dans la contrainte qu’autre chose ».
Des transgressions qui vont à l’encontre des engagements du Maroc qui fut parmi les premiers signataires de la Convention internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leurs familles dont l’article 25 stipule que « les travailleurs migrants doivent être traités comme les nationaux en ce qui concerne les rémunérations et les conditions de travail ».
Notre pays a signé également la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui souligne que « s’il est vrai que les Etats parties peuvent refuser d’offrir des emplois aux non-ressortissants démunis de permis de travail, tous les individus doivent pouvoir jouir de droits relatifs au travail et à l’emploi » ; et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dont l’article 7 consacre « le droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables».
Franck Iyanga nous a indiqué, qu’en tant que syndicaliste, il reçoit beaucoup de plaintes en relation avec ces violations du Code du travail de la part de migrants en séjour régulier tout comme ceux qui sont en séjour irrégulier. « Nous sommes souvent appelés à intervenir pour trouver une issue à ces différends entre les patrons et les salariés migrants. Et dans beaucoup de cas, on trouve une issue à l’amiable. Dernièrement, nous avons pu résoudre l’affaire d’un migrant qui n’a pas été payé par son patron tout au long des mois de confinement. En fin de compte, son patron a accepté de tout payer à l’amiable. Parfois, et face à la réticence d’un patron récalcitrant, on fait appel à l’inspection du travail », nous a-t-il affirmé. Et de conclure : « Quant à la voie judiciaire, elle reste encore tortueuse vu la lenteur des procédures qui contraignent plusieurs migrants à abandonner l’affaire après quelques mois de son instruction. A rappeler que cette voie judiciaire n’est pas permise aux migrants irréguliers puisque la loi 02-03 relative à l’entrée, au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et l’immigration clandestine, interdit aux personnes résidant irrégulièrement d’accéder au marché formel de l’emploi et d’obtenir un contrat de travail en bonne et due forme».