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L’intervention des forces de l’ordre face à la tentative migratoire du 15/09 fut un succès. Toutefois, les carences de l’approche sécuritaire poussent à changer de paradigme dans la lutte contre la migration clandestine. Décryptage.
Sur la Toile, une image se propage à la vitesse de lumière. On y voit un groupe de jeunes migrants arrêtés par les forces de l’ordre et plaqués au sol. Largement partagée sur les réseaux sociaux, cette photo est si controversée que le Parquet général de Tétouan a ouvert une enquête judiciaire pour vérifier les faits et l’authenticité de la photo. Entre-temps, les interprétations fusent de toutes parts entre ceux qui affirment qu’il s’agit d’une photo ancienne et ceux qui pensent que c’est une des scènes déplorables des événements du 15 septembre. Cette date restera mémorable. Un simple appel lancé sur les réseaux sociaux a poussé des hordes de jeunes, dont des ressortissants maghrébins et subsahariens, à se ruer massivement vers le Nord du Royaume pour pénétrer ensuite à Sebta en quête du rêve européen. Du samedi au dimanche, les autorités marocaines furent en état d’alerte maximale en déployant un dispositif sécuritaire d’une ampleur inédite à Fnideq où des centaines de migrants se sont rassemblés pour rejoindre Sebta à l’instigation d’un réseau d’agitateurs sur les réseaux sociaux, dont une soixantaine ont été arrêtés pour incitation et apologie de l’immigration clandestine. La tentative est savamment planifiée mais s’est heurtée à un mur sécuritaire. Déployées sur tous les chemins qui mènent à l’enclave espagnole et le long du littoral, les forces de l’ordre ont pu barrer la route aux hordes de migrants, dont une partie a réussi à s’approcher de la clôture, sans pour autant parvenir à entrer à Sebta.
La nuit fut rude pour les autorités marocaines qui ont dû courir derrière les « harragas » jour et nuit. Les émeutes n’ont pas manqué d’éclater au sein de Fnideq dont les habitants ont été exaspérés par les actes de violence et les dégâts occasionnés. En gros, la tentative est un échec grâce au déploiement massif des autorités marocaines dont l’intervention a été unanimement saluée du côté espagnol.
Une pression migratoire qui dure
Loin d’être un acte isolé, cet exode massif est le prolongement d’une pression migratoire qui dure depuis des années. Son intensité s’est accentuée à la fois près des Îles Canaries et aux environs de Sebta et Mellilia. Depuis janvier, plus de 54.015 tentatives ont été déjouées et 177 cellules démantelées par les autorités marocaines, selon un récent bilan du ministère de l’Intérieur qui dément les élucubrations colportées souvent par la presse ibérique sur les efforts du Royaume.
Les régions septentrionales adjacentes à Sebta sont devenues un point de rassemblement constant. L’usage des réseaux sociaux comme mode d’organisation, c’était le cas durant le 15 septembre, encourage les gens à passer à l’acte plus facilement. “Les événements du 15 septembre ne peuvent être perçus comme un acte isolé, c’est le résultat de plusieurs facteurs qui se sont accumulés, dont la fermeture des postes terrestres et l’imposition du visa pour les habitants du Nord, sans oublier le durcissement du contrôle par les autorités marocaines et espagnoles qui pousse les migrants à recourir plus aux tentatives collectives en s’organisant sur les réseaux sociaux”, observe Mohammed Benaïssa, président de l’Observatoire du Nord pour les droits de l’Homme.
Gendarme de l’Europe, jusqu’à quand ?
Face à cette déferlante migratoire, le Maroc se voit attribuer la mission de garder l’Europe. Une mission ardue au moment où une partie importante des flux migratoires en provenance du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne conflue vers note pays. Pour sa part, l’Espagne se satisfait que le Maroc fasse si bien le ménage sans qu’elle soit associée directement. Mais, le fardeau est si lourd avec la pression qui augmente qu’il faut une stratégie commune et des moyens communs pour répondre à un défi si difficile à assumer d’un seul côté et à long terme. “La pression est difficilement tenable à long terme“, reconnaît Mohammed Badine El Yattioui, Professeur d’Etudes Stratégiques au National Defence College (NDC) des Emirats Arabes Unis. Cela implique, aux yeux de notre interlocuteur, un changement de paradigme dans la coopération migratoire aussi bien avec l’Espagne qu’avec l’Union Européenne. “Il faut s’adapter aux nouveaux enjeux et aux nouvelles contraintes qui pèsent sur les deux pays”, insiste-t-il.
En réalité, la stratégie européenne consiste à verser de l’argent, aussi dérisoire soit-il, aux pays de transit auxquels incombe la charge du refoulement. Les forces de l’ordre marocaines recevraient 65 millions d’euros de l’UE entre 2017 et 2024 pour le contrôle des flux migratoires, selon les chiffres rapportés par “Le Monde”. En 2018, la Commission Européenne avait décidé d’allouer 30 millions d’euros par an. Cette enveloppe a été jugée insuffisante. L’UE donne également 8 millions d’euros pour aider le Royaume à gérer les flux. Mais, sur le terrain, le nombre devient un facteur qui pèse dans l’équation. D’où la nécessité que le partenariat migratoire ne soit pas à sens unique, selon M. Yattioui, qui juge nécessaire que l’UE intervienne davantage par l’intermédiaire de l’agence Frontex qui reste trop déployée à l’Est de la Méditerranée, alors que la donne change sur la côte Ouest.
L’approche sécuritaire ne suffit pas !
Par ailleurs, l’immigration clandestine est également le reflet d’un malheur social. Les scènes de jeunes marocains désespérés reflètent l’ampleur d’une crise sociale qui dure depuis longtemps, que certains ne veulent pas voir en face. Il n’est pas étonnant que la plupart des gens qu’on a vus à Fnideq soient des jeunes et des mineurs. Ils font partie d’une “armée de réserve”, qui vit dans le désœuvrement total. 4,3 millions de jeunes n’ont ni formation ni travail, selon le Conseil Economique, Social et Environnemental, qui a tiré la sonnette d’alarme sur cette catégorie qui constitue une bombe à retardement si rien n’est fait pour lui redonner espoir. Cette catégorie ne sent pas encore les effets de l’État social tant vanté par le gouvernement sur son quotidien. D’où la nécessité de trouver des réponses concrètes pour le chômage qui a pris des proportions insoutenables. C’est tout le défi du reste du quinquennat du gouvernement. “L’approche sécuritaire n’est pas et ne sera jamais la réponse idoine, il est impossible de dissuader des jeunes et des mineurs par la force à chaque fois”, estime Mohammed Benaïssa.
Ce qui est sûr, c’est que ce qui se passe est un mauvais indicateur sur la situation sociale dans notre pays.