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A la gare routière Kamra de Rabat, les ressortissants subsahariens sont sous le choc. Quiconque parmi eux souhaitant se rendre dans des villes du nord du pays devra justifier la validité de son séjour au Maroc, en présentant ses documents au guichetier. C’est le cas pour Aimée Lokaké, présidente de la Communauté congolaise au Maroc, vivant dans la capitale et qui s’est confrontée à cette procédure pour se déplacer à Tanger.
A la suite des faits, la militante a alerté que nombre d’agences de transport routier à Kamra affichent une annonce dans ce sens. Voyageant avec la CTM, elle s’est dite choquée de lire qu’«il est strictement interdit de vendre des billets CTM au Africains (sic) qui ne justifient pas une résidence ou un passage régulier au Maroc, surtout vers les destinations Nord et Sud du Maroc : Tanger, Tétouan, Al Hoceïma, Nador, Oujda et Laâyoune».
«Nous étions neuf femmes à acheter nos billets. Au guichet, l’agent de la CTM nous a demandé nos titres de séjour. J’ai refusé de le fournir en lui disant que s’il ne voulait pas me vendre un billet, j’irais l’acheter ailleurs», nous confie Aimée Lokaké. Les neuf passagères étaient de la République démocratique du Congo, de Congo-Brazzaville, du Tchad, de Côte-d’Ivoire et de Guinée, toutes avec des titres de séjour valides.
«J’ai finalement eu mon billet sans présenter de document, mais à l’entrée de l’autocar, un contrôleur a demandé lui aussi à voir nos titres de séjour», ajoute-t-elle. La militante dénonce ainsi une «mesure raciste [qui] vise les Subsahariens». «Un ressortissant belge et des Syriens n’ont pas subi ce contrôle, contrairement aux Subsahariennes que nous sommes», s’indigne-t-elle.
Aimée Lokaké rappelle avoir contesté la demande du contrôleur en lui signifiant qu’il n’était «ni un policier ni un agent d’autorité pour se donner le droit de vérifier les identités». «Nous avons fini par présenter nos titres de séjour pour monter» à bord, raconte-t-elle encore, en décrivant des passagers choqués, notamment les étrangers qui ne se sont pas faits contrôler, mais qui ne pouvaient pas réagir.
Les agences d’autocar auxiliaires du contrôle aux frontières ?
«Au moment du pointage, les chargés de clientèle doivent vérifier les papiers à cette catégorie de voyageurs et interdire aux immigrés clandestins qui restent dans le Maroc de manière illégale de monter dans les autocars», lit-on dans la suite de l’annonce. Elle est affichée dans certaines agences de la CTM, mais pas dans d’autres, comme nous avons pu constater. Si toutes n’affichent pas cet avis, elles expliquent en tout cas avoir reçu des instructions pour refuser la vente de tickets aux Subsahariens qui ne présenteraient pas leur carte de séjour.
«Une note d’information nous a été transmise par l’administration de la CTM, selon laquelle nous devons demander aux ressortissants étrangers de justifier leur séjour au Maroc, s’il y a des soupçons qu’ils pourraient traverser vers l’Europe.»
A Nador, ses collègues sont intransigeants. «Pour des destinations à l’intérieur du pays, nous n’exigeons pas des ressortissants subsahariens de justifier leur séjour. Cependant, s’ils veulent voyager vers des villes proches des frontières européennes, nous ne pouvons pas leur vendre de ticket s’ils ne fournissent pas leur titre de séjour, car ils risquent de passer à Melilla ou Ceuta depuis Nador ou Tétouan. Comme ça s’ils veulent s’y rendre, ils peuvent y aller à pieds et à ce moment-là, ce sera la police qui les arrêtera», déclare un agent de la CTM à Nador.
Président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) dans la ville, Omar Naji dénonce ces mesures en rappelant que «c’est à la police de vérifier l’identité des gens et non pas aux agences de transport et à leurs salariés». «Nous observons ces usages depuis au moins une année, au niveau de Nador et pour différentes entreprises de transport routier, alors qu’aucune loi n’oblige les voyageurs à fournir des documents d’identité pour circuler à l’intérieur du pays», affirme-t-il auprès de Yabiladi. Et de fustiger une forme de «sous-traitance du travail des autorités».
Selon d’autres agents de la CTM à Nador, «la police embarque le conducteur au commissariat pour signer le procès-verbal, au cas où des migrants parmi les voyageurs n’ont pas leurs papiers, comme si les chauffeurs commettaient une contravention en conduisant ces personnes», ajoute encore Omar Naji. Contacté par Yabiladi, la CTM n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Un document de la Direction du Transport, de la logistique et de l’eau à Laâyoune indique que cette mesure donne suite à des instructions du Wali de la région de Laâyoune-Sakia El Hamra pour «contrer le phénomène des migrants clandestins» (sic) avec l’implication active des sociétés de transport. Lors de cette réunion dont le procès-verbal a fuité, «le directeur provincial [des transports] a affirmé que les transporteurs doivent coordonner avec leurs directions centrales pour donner leurs instructions à leurs agences du nord, afin de ne pas accepter de transporter des migrants clandestins qui ne présentent pas de titres de séjour».
Selon la même source, «les agences qui ne se plient pas au consignes s’exposent à des pénalités, pouvant arriver à la saisie» et la CTM n’est pas la seule concernée. En effet, des représentants de Supratours, SATAS, SAT, Express Sahara et Noujoum Sahara ont été également présents lors de ladite réunion.
Pour Omar Naji, «les autorités marocaines doivent assumer leurs responsabilités au lieu de se cacher derrière un PV de réunion pour ne pas avoir à justifier une mesure raciste, surtout que ce document n’a aucune valeur juridique». «Si le gouvernement veut véritablement assumer ses responsabilités en mettant en place un processus de vérification au faciès, il peut formaliser les choses en diffusant une circulaire, pour qu’elle soit attaquable en bonne et due forme», conclut le militant.