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Comment s’est faite la conception de ce livre ?
C’est un ouvrage issu de ma thèse de doctorat en sciences politiques, que j’ai soutenue en 2016, sur les pratiques juridiques et administratives du droit des étrangers au Maroc. C’est une version retravaillée et publiée avec le soutien du laboratoire mixte Movida, un réseau de chercheurs qui entend contribuer au changement de regard sur les migrations africaines et les migrants africains.
Ce soutien m’a permis de voir ce travail publié en espérant qu’il suscite de l’intérêt et de la réflexion et qu’il contribue à sortir de lectures régulièrement biaisées de certains phénomènes migratoires au Maroc mais aussi d’une vision trop souvent misérabiliste du migrant et réductrice du travail administratif.
L’objectif principal est -sur la base d’un travail empirique et d’une approche ethnographique- de se pencher sur ce qui se passe sur le terrain, pour considérer différents aspects de ce phénomène social qu’est le droit, et en particulier le droit des étrangers.
Il s’agit aussi de dresser un panorama contextualisé en passant par différentes dimensions, propres aux étrangers mais qui concernent, pour certaines, la société marocaine dans son ensemble. Car au-delà d’être un professionnel, l’acteur administratif est aussi un membre de la société et puise dans ses pratiques professionnelles des éléments qui relèvent du sens commun.
Quelle est l’approche entreprise dans cette recherche ?
D’abord, c’est une démarche qui ne s’interroge pas sur le pourquoi mais sur le comment. Je pense qu’il est important de s’intéresser aux mécanismes de fonctionnement des acteurs et des procédures pratiques sur le terrain, sans porter de jugement ni regarder ces pratiques en surplomb.
C’est tout l’intérêt d’adopter une approche d’abord descriptive qui analyse ce qui émerge, quitte à ne pas forcément chercher à tout analyser. Il ne s’agit ni d’un état des lieux, ni d’une analyse qui se voudrait exhaustive.
Au-delà, je ne considère pas le droit des étrangers comme étant constitué uniquement des textes juridiques concernant les étrangers. En d’autres termes, les textes de loi sont une référence. Ils puisent leur valeur effective dans la manière dont ils sont appliqués. Ils ne sont pas la seule référence dans la mise en œuvre du droit.
C’est pourquoi, le livre souligne l’importance de s’intéresser à l’analyse des catégories d’appartenances dans le cadre des interactions entre étrangers et administrations, mais aussi dans les discours politiques et médiatiques, ainsi que dans la vie ordinaire.
Cela amène à une réflexion sur les catégories de l’«étranger» ou du «migrant» notamment, dans le langage courant et la vie ordinaire, mais permet plus largement et sur la base d’une diversité d’illustrations puisées de ma vie au Maroc, de revenir sur des caractéristiques associées à certaines catégories d’étrangers ou d’individus et susceptibles d’orienter les actions et interactions. Les manières dont les gens catégorisent et sont catégorisés nous apprennent beaucoup de nos compréhensions et de nos lectures des réalités.
Quel regard portez-vous sur les réalités actuelles de la migration au Maroc ?
La question de la migration au Maroc est saillante depuis plusieurs années. Elle l’est d’ailleurs au-delà du Maroc, ce qui fait que cette question est devenue une préoccupation, voire une crainte, véhiculée par nombre de discours politiques et médiatiques.
Dans la perception, le Maroc est passé de pays de transit à celui d’immigration, mais le fait est qu’il accueille des immigrés depuis bien plus longtemps. Seulement, cette immigration a beaucoup évolué et s’est considérablement diversifiée. Les immigrés étaient auparavant majoritairement français, espagnols, algériens et sénégalais. Aujourd’hui, on constate une plus grande diversité de nationalités mais aussi des statuts administratifs des étrangers au Maroc. Certains sont venus pour s’y installer, d’autres pour transiter par le territoire. Certains de ceux venus pour s’installer n’ont pas pu s’y ancrer et ont poursuivi leur route, d’autres, qui avaient le projet de transiter s’y sont installés.
Les situations sont diverses et les projets évoluent, en lien notamment avec les perspectives, ici et ailleurs, et notamment celles de pouvoir se stabiliser et «trouver sa place». Ce que je dis est valable autant pour les ressortissants d’Afrique de l’ouest et centrale, que pour les Européens, les Asiatiques ou les personnes originaires du Moyen-Orient. Tous ne sont pas soumis aux mêmes règles du droit positif et ne sont évidemment pas accueillis par tous de la même manière.
L’immigration au Maroc est devenue un enjeu d’abord sous l’angle de la migration de transit de subsahariens sur le territoire marocain pour rejoindre l’Europe. Ce n’est qu’une partie de la réalité migratoire marocaine mais c’est une réalité partielle qui continue à orienter majoritairement les discours et les dispositifs mis en œuvre, au point de camoufler d’autres phénomènes non moins importants et impactant, positivement ou moins positivement, la société marocaine.
Au milieu de cela et à l’écoute des différents discours sur ces questions, il n’est pas toujours évident d’analyser les choses et les événements pour une lecture sereine et plus claire de ces phénomènes.
Pourtant, être considéré comme un migrant ou pas, comme migrant irrégulier, potentiel migrant irrégulier ou comme susceptible de vouloir transiter vers l’Europe, être perçu comme vulnérable, précaire ou comme une menace, etc., peut avoir des effets pratiques sur l’accès à une procédure, à un dispositif, sur la manière dont on est accueilli ou tout simplement reçu.