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Premier investisseur sur le sol africain, le Vieux Continent y affronte désormais la plupart des grandes puissances, qui tentent de se repositionner au moyen de stratégies géopolitiques de reconquête. Un changement de donne qui interpelle alors que dirigeants africains et européens se réunissent à Bruxelles, les 17 et 18 février prochains.
Au sortir de la guerre froide, l’on se serait attendu à ce que l’Europe développe une véritable stratégie globale avec l’Afrique. Tel n’est pas encore le cas. En réalité, en dépit des déclarations, le continent ne constitue toujours pas une priorité dans l’agenda des Européens, qui ne disposent d’aucune analyse géopolitique significative le concernant.
Bien qu’elle y affronte, de plus en plus, une concurrence rude des pays émergents, l’Union européenne (UE) persiste trop souvent à n’y voir qu’une vaste zone d’instabilité et d’insécurité et une région périphérique qui pourrait servir de point de ralliement négatif pour la défense des intérêts de ses États, à commencer par la lutte contre l’immigration.
Pour les années qui viennent, la Commission européenne a décidé de redéfinir la stratégie de l’Union avec l’Afrique sur la base de cinq partenariats thématiques : la transition verte et l’accès à l’énergie ; la transformation numérique ; la croissance et les emplois durables ; la paix et la gouvernance ; les migrations et mobilités. L’identification de nouveaux thèmes autour desquels pourraient se cristalliser des intérêts communs ne suffit cependant pas. Encore faut-il que ces thèmes résultent d’une véritable analyse géopolitique du continent sur le moyen terme (2050-2060).
Par ailleurs, en dépit de quelques avancées, de multiples différends persistent. Avec près de 30 milliards d’euros annuels alloués à l’Afrique, l’UE demeure l’un des premiers bailleurs sur le continent, devant les États-Unis, le Japon ou la Chine. Elle y est aussi le premier investisseur, mais cette position est loin d’être garantie. L’UE ne s’est pas seulement élargie : les nouveaux États membres s’intéressent davantage aux Balkans et aux frontières orientales de l’Union qu’à l’Afrique.
De plus, les relations entre l’Union européenne et l’Afrique sont plus complexes que les flux d’aide publique. Et, là encore, les contradictions sont nombreuses. Si les négociations entre l’Union et l’Afrique subsaharienne, les pays des Caraïbes et du Pacifique (les ACP) ont débouché sur un nouveau « partenariat » post-Cotonou en décembre 2020, les changements enregistrés sont, en réalité, dérisoires.
« L’UE EST PARVENUE À IMPOSER AUX ÉTATS AFRICAINS L’OBLIGATION DE RÉADMISSION DES MIGRANTS ILLÉGAUX DANS LEUR PAYS D’ORIGINE »
L’accord de partenariat UE-ACP demeure le cadre juridique qui structure les relations entre l’UE et l’Afrique subsaharienne. Pour ajouter à la complexité de l’héritage institutionnel et juridique, les relations commerciales sont définies à travers des accords avec les différentes sous-régions africaines, tandis que les pays d’Afrique du Nord font l’objet d’un traitement à part, dans le cadre des accords d’association réservés aux pays dits « du voisinage ». À l’occasion de ces accords, l’UE est parvenue à imposer aux États africains l’obligation de réadmission des migrants illégaux dans leur pays d’origine.
En lieu et place d’une action internationale européenne commune, l’UE traite avec une multitude d’instances africaines par lesquelles passent la plupart de ses initiatives. En préconisant le maintien de relations euro-africaines bilatérales, elle s’interdit de repenser les échelles pertinentes des relations dans un contexte où, comme on l’a vu précédemment, la géographie internationale et économique des États africains est en pleine recomposition et la priorité devrait être davantage accordée au transfrontalier.
Nous plaidons donc pour que, lors de ce sommet UE-UA, un engagement historique soit pris, en vue d’un véritable acte fondateur entre les deux continents. Un tel acte doit mettre à plat les politiques actuelles (commerciale, agricole, industrielle, migratoire, environnementale, scientifique et universitaire). Il doit surtout faire progresser l’intégration intra-africaine et développer les interconnexions avec l’Europe. Il ne peut pas être fondé sur le vieux socle de l’Eurafrique dont on a vu, au long de l’histoire, les fatales contradictions. Afin de tourner le dos aux approches fragmentaires et aux déséquilibres du passé, des mécanismes de gouvernance conjointe doivent être mis en place. Ils devraient déboucher sur la création d’une véritable commission euro-africaine permanente.
« CINQ TYPES D’ALLIANCE SONT NÉCESSAIRES : AGRICOLE, TECHNOLOGIQUE ET INDUSTRIELLE, NUMÉRIQUE ET CULTURELLE, POUR LA DÉMOCRATIE AINSI QUE POUR LES INFRASTRUCTURES TRANSFRONTALIÈRES »
L’objectif stratégique doit être d’arrimer les deux continents l’un à l’autre. Une étape cruciale dans cette perspective est d’accroitre significativement la connectivité intra-africaine, condition sine qua non sans laquelle la connectivité euro-africaine n’aura pas lieu. Cinq types d’alliance sont nécessaires : agricole, technologique et industrielle, numérique et culturelle, pour la démocratie ainsi que pour les infrastructures transfrontalières. Comme les États coloniaux de la fin du XIXe et du début du XXe siècle l’avaient bien compris, le plus grand obstacle à la transformation du continent africain est la faiblesse en matière de connectivité physique et infrastructurelle.
Cette faiblesse a toujours été l’un des plus grands obstacles au développement des marchés régionaux. Les grands axes transcontinentaux imaginés à l’époque coloniale, à l’exemple du transsaharien, de la transsahélienne ou du chemin de fer du Cap au Caire visaient précisément à surmonter ce goulot. Ils doivent être réactualisés. Que dire du coût des services maritimes ? Supérieur de 40 % à la norme mondiale, il pourrait être abaissé avec la décongestion des infrastructures portuaires, puis l’intégration entre les ports africains, et entre ceux-ci et leurs hinterlands régionaux. De considérables externalités positives pourraient aussi être dégagées grâce à l’interconnectivité des réseaux électriques nationaux. En effet, en matière énergétique, le renforcement des boucles électriques régionales pourrait, en combinaison avec le développement des énergies renouvelables, propulser les zones considérées à présent comme hostiles au développement.
Si la priorité doit être accordée à l’interconnexion des réseaux électriques, au développement des chaînes logistiques terrestres, aériennes et maritimes et à l’intégration des écosystèmes numériques africains et européens, un soutien équivalent doit être accordé aux investissements industriels en Afrique. Il est en effet possible de favoriser la constitution de filières industrielles intégrées à l’échelle euro-africaine. Au fur et à mesure que la Chine passera du statut d’usine du monde à celui de premier marché planétaire, de véritables investissements manufacturiers pourront se faire en Afrique, au-delà des zones franches chinoises en Égypte et en Éthiopie. Des chaînes de valeur régionales pourront voir le jour sur le continent lui-même. Elles reposeront sur des échanges de produits intermédiaires.
« MIEUX ARRIMER LES CONTINENTS AFRICAIN ET EUROPÉEN L’UN À L’AUTRE IMPLIQUE DE SOUTENIR LA CONNECTIVITÉ TRANSAFRICAINE »
L’Union européenne peut accompagner le continent dans ce processus d’industrialisation. La transformation agro-industrielle, mais aussi des investissements dans les domaines de l’eau, de l’énergie solaire, du sol représentent de ce point de vue le point de départ privilégié parce qu’ils relieraient en un même faisceau les enjeux politiques, économiques, sanitaires et environnementaux.
Il n’y aura donc pas de refondation des relations entre l’Afrique et l’Europe sans une stratégie pour la connectivité Afrique-Europe. Mieux arrimer les continents africain et européen l’un à l’autre implique de soutenir la connectivité transafricaine en matière énergétique, physique et numérique. Il implique aussi de faire émerger une nouvelle alliance pour la démocratie, condition sans laquelle on bâtira sur du sable.