« Laayoune, c’est la misère. On ne vit pas en paix ici, on est continuellement harcelés par les forces de l’ordre.
Depuis un mois, les choses se sont aggravées. La police vient tous les jours dans les maisons occupées par les migrants subsahariens. On n’est pas tranquilles.
Laayoune est connu pour être un lieu de départ des embarcations de migrants vers les Canaries. Avec l’arrivée des beaux jours, les autorités marocaines redoutent qu’un plus grand nombre de canots tentent la traversée vers l’archipel espagnol. De plus, après des mois de brouille diplomatique, les relations entre l’Espagne et le Maroc se sont réchauffées. Les deux pays ont repris leur coopération en matière de contrôle migratoire et Rabat a assuré mettre tout en œuvre pour empêcher les embarcations de prendre la mer.
Entre 40 et 90 migrants arrêtés chaque jour
Les policiers débarquent violemment et cassent nos portes d’entrée. Parfois, certains nous frappent, les femmes ne sont pas épargnées. Plusieurs proches ont eu la main déboitée lors de ces opérations.
Pour éviter les arrestations, je ne reste pas chez moi la journée. J’ai vécu cette expérience l’an dernier et je ne veux pas que ça recommence. Plusieurs de mes amis font pareil : on quitte nos maisons tôt le matin et on ne revient que le soir pour éviter d’être expulsé de Laayoune.
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Mais en ce moment, le danger est partout. Les forces de l’ordre ratissent aussi les quartiers fréquentés par les migrants et les interpellent même dans la rue. Entre 40 et 90 personnes sont arrêtées chaque jour.
Quand ils prennent les Noirs, ils les parquent dans des centres de détention, à quelques kilomètres de Laayoune. C’est un grand centre composé de plusieurs chambres très vastes. On est près d’une centaine dans une pièce. Il n’y a pas de lits, pas de matelas et pas d’eau. On ne peut pas se laver et on doit faire nos besoins dans la cour.
Les gardes nous donnent un morceau de pain et des pâtes ou des sardines chaque jour. On peut y rester jusqu’à six jours.
Des migrants envoyés au milieu du désert, sans eau ni nourriture
Après cette période, les policiers nous mettent dans des bus et nous envoient dans le désert. Le plus souvent c’est vers Zagora, près de la frontière algérienne [à environ 1 000 kilomètres au nord de Laayoune, ndlr], mais ça peut aussi être vers Beni-Mellal [à plus de 200 kilomètres au sud de Casablanca, ndlr]. Ils nous laissent au milieu de nulle part, à une dizaine de kilomètres de la ville, sans eau ni nourriture. Il y a aussi avec nous des femmes et des enfants.
Lamine a été envoyé dans le désert avec cet ami, qui a depuis perdu la vie dans l’Atlantique. Crédit : DR
On doit parfois marcher deux à trois jours pour rejoindre la ville la plus proche. Et après, on paye le transport pour revenir à Laayoune.
Si on revient, c’est qu’on veut aller en Europe. On veut prendre la mer vers les Canaries. Fuerteventura n’est qu’à environ 90 kilomètres de là. Le passage coute entre 1 500 et 2 000 euros.
Bien que la distance qui sépare les côtes marocaines des Canaries ne soit que d’une centaine de kilomètres, la traversée de l’Atlantique est extrêmement dangereuse. Les forts courants, les vents violents et les embarcations surchargées dans lesquelles prennent place les migrants rendent la traversée très risquée et entraînent des naufrages. Depuis janvier, plus de 200 personnes ont péri dans cette zone maritime. L’an dernier, on a dénombré au moins 4 000 morts dans l’Atlantique.
Un ami est décédé ces derniers jours en tentant la traversée. Je sais que c’est dangereux mais je n’ai pas le choix, je tenterai quand même ma chance. Ma famille au pays compte sur moi, ils sont dans une pauvreté totale. »
*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.