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ENASS lance son nouveau format multimédia intitulé « L’Invité ». Il s’agit d’une émission mensuelle d’entretien avec un-e personnalité publique au Maroc. Notre premier invité est François Reybet-Degat, représentant du HCR au Maroc. Tour d’horizon de l’actualité du droit d’asile au Maroc et dans le monde.
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Dans cette deuxième partie de l’interview avec François Reybet-Degat, nous faisons un focus sur la situation du droit d’asile au Maroc en 2022-2023. Nous abordons l’activité du bureau du HCR Maroc, le retard dans l’adoption de la loi sur l’asile et l’activité du Bureau des réfugiés et des apatrides(BRA), du Maroc. Nous terminons par le volet international avec les enjeux du futur Forum mondial des réfugiés prévu en décembre 2023.
L’accès au droit d’asile au Maroc est un des acquis de la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA). Où en est- on de l’application concrète de ce droit au royaume ?
Le travail sur le droit d’asile au Maroc est pris en compte dans cette belle politique qu’est la SNIA. Ceci indique un choix politique pour l’inclusion et l’ouverture. Maintenant, nous attendons la loi sur l’asile, qui est absolument indispensable. C’est un choix marocain, d’avoir un cadre juridique relatif à l’asile. Disposer de ce texte permettra d’avoir un traitement équitable et cohérent entre les réfugiés quelque soit leur pays d’origine. Ce texte est un élément constituant pour la mise sur pied d’un système national d’asile avec un bureau national des réfugiés et des apatrides. Comme je l’ai évoqué précédemment, l’évolution de ce droit doit aller de pair avec l’accès à la documentation. Nous sommes sortis de la période du Covid-19. Nous avons une vraie opportunité de travailler sur cette question. De notre point de vue, il y a une adéquation totale entre sécurité publique et sécurité juridique des demandeurs d’asile.
A ce propos, est-ce que le Bureau des réfugiés et des apatrides (BRA), relevant du ministère des Affaires étrangères et de la coopération africaine, a pu reprendre ses activités avec le rythme souhaité ?
« Il faut absolument augmenter les fréquences des auditions du BRA.
Les impératives de réponse à la pandémie ont fait que le BRA a cessé ses sessions durant la période du Covid-19. Maintenant, le Bureau a repris ses sessions. Il s’est réuni régulièrement en 2022. Il a validé 240 dossiers de réfugiés, mais le HCR a reconnu 9700 réfugiés. Également, 2000 personnes ont été reçues par le BRA. Pour rééquilibrer cette situation, il faudrait une période extrêmement longue pour que les personnes n’ayant pas encore été auditionnées par le BRA le soient. Il se pose un problème de capacités et de moyens. Cette question est d’ailleurs en discussion avec les autorités car il faut absolument augmenter les fréquences des auditions du BRA.
Je reviens sur le plan législatif. Le projet de loi sur l’asile est toujours en stand-by. Comment se présente ce dossier ?
Ce que nous savons est que le projet de loi est en discussion entre les ministères concernés. C’est une discussion qui serait en sa phase finale nos attentes nous mèneront à ce que ce texte soit discuté et adopté le plus rapidement, ainsi nous permette d’avoir le meilleur texte possible pour une mise en œuvre dans les meilleurs délais.
Au niveau de l’activité du bureau du HCR Maroc, de quelle manière s’est déroulée l’année 2022 et le début de l’année 2023 ?
« Ce fut une année dure pour le HCR Maroc ».
C’était une année très dure. Nous sommes un petit bureau du HCR, avec seulement 50 fonctionnaires et un petit budget. J’ai la chance d’avoir une équipe dynamique et soudée. Nous devons apporter des réponses à 20 000 réfugiés. C’était donc une année compliquée. Surtout si vous manquez de moyens requis pour une telle situation. Ce manque de moyens interpelle l’ensemble des parties, (les Etats, la société civile, les communautés, etc.). L’asile n’est passeulement une question relevant que du HCR mais concerne tout le monde. Aujourd’hui, ce sont les communautés de réfugiés et d’accueil (les Marocains) qui sont les principales sources d’aide aux réfugiés. C’est ce que montre une nouvelle étude du Haut-commissariat au plan (HCP).
« Cette situation ne peut plus durer. Les choses doivent changer ».
Le bureau a aussi fait l’objet de violences. Notre bureau a été confronté à la violence. L’espace diplomatique a été violé plusieurs fois, le staff du HCR a été agressé. Je rappelle que le HCR est une institution de paix et de dialogue.Nous sommes dans l’explicitation de nos missions et la recherche de solutions d’inclusion. Cette année a été autant difficile pour les demandeurs d’asile que pour notre bureau au Maroc. Nous continuerons à travailler avec tout le monde car cette situation ne peut plus durer.
Comment ont évolué les flux durant cette période 2022-2023. L’impact de la guerre civile au Soudan s’est-il fait ressentir sur les arrivées au Maroc ?
Nous sommes depuis le début de l’année 2023 dans une stabilisation des entrées au Maroc. On ne voit pas pour l’instant d’effets du conflit soudanais. Le nombre de déplacés depuis celui-ci est important, il est de 500 000 personnes en raison de ce conflit dans les différents pays voisins. C’est une situation dramatique. Il est difficile de confirmer l’impact de ce conflit récent sur le Maroc du moins pour moment. Il faut attendre la fin de l’année pour un bilan exhaustif.
L’année en cours sera marquée par la tenue du Forum mondial des réfugiés en décembre. En quoi ce rendez-vous est-il important pour les réfugiés se trouvant au Maroc ? et comment ce Forum mondial pourra améliorer concrètement leurs conditions ?
Quand on pense à ce monde fragmenté, avec des tensions et des réflexes de repli, ces forums sont des moments très importants. C’est un moment-monde pour faire le bilan des quatre années précédentes de la mise en œuvre du Pacte mondial sur les réfugiés, un moment pour reconnaitre la contribution des réfugiés eux-mêmes, un moment pour mettre en avant les contributions de la Société civile, des Etats, du secteur privé et de toutes les institutions internationales. C’est un moment galvaniseur pour tout le monde.
L’année 2022-2023 a été marquée par une montée du discours de haine contre les personnes étrangères noires au Maghreb, quelles sont les actions qui peuvent être menées pour lutter contre cette xénophobie ?
Le vivre-ensemble est un thème qui fait partie de notre travail. Le vivre ensemble, c’est connaitre l’autre et mieux l’apprécier. Les médias peuvent jouer un travail important de déconstruction autour du rejet de l’autre et de toutes les réflexions de la non-acceptation de la figure de l’étranger. Il est nécessaire de travailler sur les raisons de ce qui pousse à ce sentiment de peur, et de rejet d’autrui. . Il est crucial de pouvoir créer un dialogue autour de ces questions. La seconde chose à faire serait le travail de recherche. Cette année, la Banque mondiale a publié son rapport annuel dédié cette année aux migrations qui revient sur vingt-ans de recherches sur l’apport des migrations. La principale conclusion est que l’impact des réfugiés est 80% positifs sur les pays d’accueil.
« En matière d’asile, les systèmes politiques sont amnésiques ».
Enfin, le troisième élément est de travailler sur la mémoire des mobilités. Les systèmes politiques actuels sont amnésiques. Nous devons rappeler que sommes tous le fruit des mobilités. Nos noms de famille et nos parcours le rappellent à chaque instant. Nous devons cultiver une mémoire des mobilités, celle de l’histoire Maroc-Afrique, mais aussi Maroc-Europe. Les années 90 et 2000 étaient celles d’une migration de jeunes marocains vers l’Espagne. Dans les années 40, durant la 2ème guerre mondiale, c’était des réfugiés républicains espagnols qui fuyaient la guerre civile espagnole et l’Espagne de Franco. Le travail de mémoire est aussi une réponse au discours haineux et au refus de l’autre.
Source : https://enass.ma/2023/06/21/bra-la-loi-sur-lasile-flux-les-reponses-du-hcr-maroc/