Un juge espagnol a classé sans suite l’enquête sur neuf migrants accusés le 3 octobre d’avoir forcé les marins qui les avaient secourus à se diriger vers l’archipel espagnol des Canaries au lieu du Maroc. Le capitaine du navire a affirmé à la justice que les exilés ne s’en étaient pas pris à lui, ni à l’équipage, contrairement à la version officielle des autorités espagnoles. Les neuf rescapés avaient plutôt menacé de se suicider s’ils étaient renvoyés au Maroc.
Un juge espagnol a classé sans suite l’enquête sur neuf migrants accusés d’avoir forcé les marins qui les avaient secourus à se diriger vers l’archipel espagnol des Canaries au lieu du Maroc.
« Le magistrat qui enquête sur le délit présumé de piraterie […] a décidé d’un classement sans suite provisoire de l’enquête, estimant que les faits reprochés ne sont pas suffisamment prouvés », a indiqué un porte-parole du tribunal de Fuerteventura, aux Canaries, sans plus de précisions.
D’autres sources judiciaires ont indiqué à l’agence de presse EFE que la décision du juge se fondait, entre autres, sur la déclaration du capitaine du navire. Ce dernier a expliqué que le jour du sauvetage – dans la nuit du 2 au 3 octobre – les migrants secourus ne l’avaient pas forcé à se diriger vers les Canaries, ni pénétré par effraction sur le pont. Cette nuit-là, les neuf migrants avaient plutôt menacé de se suicider s’ils étaient renvoyés au Maroc. Jamais, ils ne furent violents avec l’équipage, contrairement à la version officielle des autorités espagnoles.
Ces exilés avaient entrepris la traversée depuis les côtes africaines et avaient été secourus en soirée par un remorqueur néerlandais, le Vos Pace, avec des dizaines d’autres personnes. Au total, 79 migrants étaient montés à bord du navire dans une zone maritime sous responsabilité marocaine, au large de Tarfaya.
Des témoignages laissaient entendre qu’ils étaient devenus « fous » et « agressifs », et qu’ils avaient sorti des « couteaux » en comprenant que le bateau avait ordre de les emmener au port d’Agadir, au centre du Maroc. À la suite de cette prétendue « révolte », le remorqueur avait donc mis le cap vers Fuerteventura, une des îles des Canaries.
À leur arrivée dans l’archipel espagnol, ces neuf migrants, dont la nationalité n’a pas été communiquée, avaient été arrêtés, sans résistance, par la Garde civile pour « délit de piraterie ».
« Délit de piraterie », une accusation qui a déjà ciblé des migrants
Ce type d’accusation n’est pas nouveau. En juin 2023, le ministre italien de la Défense Guido Crosetto (co-fondateur du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia) avait désigné comme « pirates » un groupe de migrants accusés d’avoir « repris le contrôle d’un navire turc » en menaçant l’équipage avec des couteaux.
L’enquête qui a suivi, mené par le parquet de Naples, avait également contredit ce récit officiel. Pas de violences, encore moins de détournement ou de piraterie. Selon les témoignages des exilés, confirmés par des images de vidéosurveillance, ceux-ci étaient dissimulés dans un camion transporté par le navire et avaient fait usage d’un objet coupant pour percer la bâche afin de prendre l’air.
Plus loin encore, en novembre 2018, un groupe de migrants avait été accusé de « piraterie », cette fois par les autorités libyennes. Secourus au large de la Libye par un navire commercial battant pavillon panaméen, le groupe s’est terré pendant 10 jours sur le bateau, refusant de débarquer au port de Misrata. « Plutôt mourir que de retourner en Libye« , affirmaient-ils alors, joints par InfoMigrants.
L’Espagne, et tout particulièrement les Canaries, au large des côtes marocaines, est l’une des principales portes d’entrée des migrants en situation irrégulière en Europe. Depuis plusieurs jours, l’archipel est confronté à un afflux sans précédent d’exilés. De telles scènes de débarquements rappellent celles observées à la fin de l’année 2020, au port d’Arguineguin sur l’île de Grande Canarie, au plus fort des arrivées migratoires dans la région.