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Le risque de migrations massives vers les pays occidentaux de personnes désertant des régions sinistrées par les changements climatiques est souvent brandi pour alerter sur l’urgence climatique et justifier des mesures de sécurisation des frontières contre l’immigration. Et pourtant, dans un article publié dans Nature, leurs auteurs dénoncent le mythe autour de l’ampleur des migrations climatiques.
On affirme souvent que l’accentuation du changement climatique anthropique sera un facteur majeur d’une migration de masse des populations du Sud vers le Nord. Mais, contrairement aux idées reçues et aux images catastrophistes véhiculées par les médias, les aléas environnementaux ne débouchent que très rarement sur des migrations de masses. L’image de futurs « réfugiés climatiques » qui constitueraient un risque de sécurité pour l’Europe est donc simplificatrice et problématique car elle accentue la peur de migrations incontrôlables.
Les facteurs climatiques les plus courants pour la migration et le déplacement sont la sécheresse, les fortes pluies et inondations, les tempêtes et ouragans. Les événements climatiques extrêmes agissent comme des moteurs directs (comme la destruction de maisons par les cyclones tropicaux) et indirects (comme la perte de revenus lors de sécheresses prolongées) de migrations et de déplacements involontaires. Le plus grand nombre de personnes déplacées par des conditions météorologiques extrêmes chaque année se produit en Asie (Sud, Sud-Est et de l’Est), suivis de l’Afrique subsaharienne, mais les petits États insulaires des Caraïbes et du Pacifique Sud sont touchés de manière disproportionnée par rapport à la petite taille de leur population (Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Working Group II Contribution to the IPCC Sixth Assessment Report).
Ainsi, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques spécifie explicitement la nécessité d’éviter, de minimiser et de traiter les déplacements climatiques, tandis que le Conseil de sécurité des Nations Unies met en garde contre les migrations climatiques de grande ampleur, qui risquent d’aggraver les conflits.
Et pourtant, selon l’article rédigé par Etienne Piguet et Suzy Blondin de l’Institut de géographie de l’Université de Neuchâtel (Suisse) ainsi que par 20 autres spécialistes des migrations et changements environnementaux, ce risque de crise sécuritaire imminente est « sans fondement scientifique empirique » et la politique migratoire repose sur de « faibles preuves scientifiques qui renforcent ce mythe en perpétuel renouvellement » : celui que les migrations massives liées au changement climatique représente une crise sécuritaire imminente.
En effet, selon l’article, le changement climatique n’est pas un élément déclencheur de migration massive mais contribue à renforcer celles qui existent déjà. « Il existe déjà de nombreuses preuves que la migration n’est pas uniquement motivée par le changement climatique. Il est plutôt influencé par une combinaison de facteurs climatiques, socio-économiques, culturels et politiques ». Et « même lorsque le changement climatique a un rôle à jouer, il reste difficile de déterminer l’étendue de son influence. Par exemple, lorsque les personnes doivent se déplacer en cas de cyclone, on ne sait pas toujours dans quelle mesure le cyclone peut être attribué au changement climatique. »
Autre écueil : les raisons qui poussent les personnes à se déplacer lors d’évènements météorologiques dévastateurs sont complexes et variées. Certaines personnes vont fuir temporairement ou de manière permanente et plutôt localement (vers une zone urbaine proche) que dans un autre pays. En outre, certaines personnes n’ont pas les moyens de se déplacer ou la volonté malgré l’importance du risque pour leur propre bien-être. La présence ou non de systèmes de prévention et d’atténuation joue également.
« Au lieu de demander si le changement climatique entraîne de la mobilité humaine, la recherche devrait déterminer si et dans quelle mesure le changement climatique modifiera les interconnexions et les schémas de mobilité humaine déjà existants selon différents scénarios de réchauffement de la planète et de politiques d’atténuation et d’adaptation, et comment ceux-ci sont à leur tour façonnés par les mobilités existantes. » suggère l’étude.
Résultat : plutôt que de remettre en cause l’ampleur catastrophiste de ces prétendues migrations massives de population, les instances politiques financent des études pour sécuriser les frontières et tenter de les gérer. Or, la peur générée par ces discours entraîne la mise en place de mesures « visant à renforcer et à protéger les frontières nationales et régionales dans le Nord » souligne l’étude. L’Union Européenne, les Etats-Unis, l’Australie cherchent à protéger leurs frontières de ces potentiels afflux de population, alors qu’il faudrait déjà s’assurer qu’il y en aura ! Actuellement, les politiques de financement cherchent en priorité à maintenir les migrants climatiques dans leur lieu d’origine, afin de ne causer aucun préjudice aux populations dans les zones de destination.
Pour les auteurs de cette recherche, « une nouvelle approche est donc nécessaire, qui permette à la science de contribuer activement à l’établissement de mécanismes de financement public de la recherche scientifique qui prennent bien en compte la nature complexe, mobile et interconnectée et les principaux défis du changement climatique et des migrations. »
L’article critique le financement actuel de la recherche sur les migrations et notamment le programme Horizon 2020 de l’UE (doté d’un budget de 30 milliards d’euro) qui est trop orienté sur les questions sécuritaires et migratoires au détriment d’approches plus larges en termes de développement et de mobilité.
Cette étude ne conteste pas les conséquences du changement climatique qui sont « potentiellement dramatiques » et qui « se manifesteront principalement dans des pays défavorisés du Sud », mais souligne qu’elles entraîneront en premier lieu des mobilités locales.
C’est d’ailleurs ce qu’indique le rapport de février 2022 du groupe II du GIEC. Si il y a de plus en plus de preuves que les évènements climatiques extrêmes entraînent des déplacements de population, pour autant, la plupart de ces migrations « se produisent à l’intérieur des frontières nationales ».
Changement climatique : combien de réfugiés climatiques ?
Selon le rapport 2022 du groupe II du GIEC, estimer le nombre de réfugiés climatiques est « difficile en raison de la nature multicausale de la migration et du rôle dominant des facteurs socio-économiques ».
Les fourchettes des projections sont donc importantes allant de 31 millions à 143 millions de personnes – principalement dans le même pays – d’ici à la fin du siècle, selon le niveau du réchauffement climatique et l’élévation du niveau de la mer (TS.C.7.1 et TS.C.7.2 dans le rapport).
Selon le rapport 2022 de l’IDMC (Internal Displacement Monitoring Centre), 5,9 millions de personnes se sont déplacées dans les frontières de leurs pays (pour un total de 23,7 millions de déplacements) en 2021 à cause des catastrophes naturelles. Près de 80 % de ces déplacements ont eu lieu en Asie.
Source : https://www.notre-planete.info/actualites/707-refugies-climatiques-migration-Nord