Verra-t-on les étrangers résidant au Maroc prendre le chemin des bureaux de vote aux élections municipales de 2021? Difficile d’y répondre pour le moment du moins. Il n’en reste pas moins que l’USFP aura eu le mérite de lancer un débat qui semble déranger plus d’une partie. Le Mémorandum sur la réforme du système électoral rendu public récemment regorgeait de propositions aussi intéressantes les unes que les autres dont celle de supprimer les dispositions interdisant aux étrangers de voter ou de se présenter aux élections locales selon le sacro-saint principe de réciprocité.
Dans une récente déclaration à la presse, Driss Lachguar, Premier secrétaire du parti de la Rose, a déclaré que la mise en œuvre de ce droit et le principe de la réciprocité avec les pays européens notamment qui s’ensuit donneront à la communauté marocaine à l’étranger la possibilité de participer à la prise de décisions dans les pays d’accueil et d’exercer une influence sur les relations entre le pays d’origine et celui de résidence. Dans ce sens, il a cité l’exemple des MRE de l’Espagne qui ne peuvent jouir de ce droit puisque sa mise en œuvre reste conditionnée par l’octroi par le Maroc de ce même droit de vote aux Espagnols résidant au Royaume.
Pour rappel, sous le gouvernement d’Abbas El Fassi, il y a eu une réflexion sur la possibilité d’accorder le droit de vote aux élections municipales aux étrangers résidant au Maroc, mais les réticences et le désintérêt ambiants en ont empêché l’aboutissement.
Il a fallu attendre 2011, pour que le débat sur ce droit soit relancé avec sa consécration constitutionnelle dans la Loi suprême de 2011 via son article 30. Ce droit de vote s’est vu limité aux seules élections locales et ses conditions d’exercice ont été prévues dans le Code électoral marocain en prenant en considération la conformité à des conventions internationales ou à la réciprocité de sa reconnaissance au profit des résidents de nationalité marocaine dans d’autres pays.
Pourtant, lors des élections locales de 2015, aucune mesure législative n’a été prise au niveau du Code électoral pour mettre en œuvre ce droit, ni par le gouvernement ni par le Parlement. Idem au niveau de l’application «des conventions internationales ou des pratiques de réciprocité».
Pour Hicham Berjaoui, enseignant-chercheur à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech, le vote des étrangers peine encore à rassembler des alliés dans les sociétés nord-africaines notamment au niveau de la classe politique. Généralement, cette dernière ne considère pas ce sujet parmi les priorités de son agenda politique. «Il s’agit le plus souvent d’un dossier à caractère occasionnel, comme c’est d’ailleurs le cas pour le vote des MRE. Ce manque d’intérêt est plutôt d’ordre culturel et sociétal et non juridique ou procédural», nous a-t-il expliqué.
Notre interlocuteur estime que ce droit de vote des étrangers s’impose aujourd’hui avec acuité puisque le Maroc s’est transformé en pays d’accueil pour plusieurs étrangers qui travaillent, investissent ou poursuivent des études et qui paient des impôts. «Ces résidents étrangers doivent participer à la vie sociale et politique de la cité au niveau local et sans que soit exigé le principe de la réciprocité », a-t-il affirmé. Pour lui, conditionner le vote des étrangers au Maroc par l’application du principe de réciprocité est une lecture restrictive du droit international et en contradiction avec les droits de l’Homme.
Il est vrai qu’à ce propos les avis diffèrent mais le débat a désormais le mérite d’exister et il revient à tout un chacun d’en obtenir le meilleur à force d’arguments réfléchis.
De son côté, Younes Foudil, coordinateur de «Plateforme papiers pour tous», estime que la revendication du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales marocaines est quasiment absente chez les étrangers résidant au Maroc et qu’elle ne constitue pas une priorité pour eux et plus particulièrement pour les Subsahariens.
Selon lui, l’instauration de ce droit exige des prérequis qui peinent à se réunir actuellement. «Ce droit nécessite des résidents étrangers qu’ils soient convaincus de la nécessité d’intégration dans la société marocaine et du « vivre-ensemble». Il exige également des résidents qui maîtrisent la langue du pays puisqu’on ne peut prétendre jouer un rôle dans la cité sans un apprentissage de la langue du pays d’accueil. Et enfin, il faut une volonté politique forte pour intégrer les étrangers dans le jeu politique local marocain», nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre : « Ces conditions subjectives et objectives ne sont pas réunies aujourd’hui, mais la donne pourra bien changer d’ici 5 ou 10 ans».
Notre source pense, en outre, que l’octroi de ce droit doit être précédé par une préparation de ces étrangers ainsi que de l’opinion publique nationale car un accès direct de ces étrangers à la vie politique peut susciter, selon lui, une certaine réticence voire un rejet et pourra alimenter le racisme contre eux. « Aujourd’hui, les étrangers gardent la neutralité et ne s’expriment pas sur les questions de la société marocaine. Ils préfèrent rester discrets et font profil bas. Ceci d’autant plus qu’un grand nombre d’entre eux ne compte pas rester pour toujours au Maroc », a-t-il conclu.