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L’argent de l’UE dépensé pour la migration en Tunisie, en Libye et au Niger enfreint probablement ses propres règles et celles de l’aide internationale, selon un nouveau rapport de l’ONG Oxfam.
Ce document de 68 pages publié jeudi 21 septembre intervient alors que la Commission européenne prévoyait de consacrer quelque 105 millions d’euros à la surveillance des frontières tunisiennes dans le cadre d’un accord controversé signé au cours de l’été.
Une analyse qualitative des actions migratoires financées par l’instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale (le NDICI), basée sur les principes de l’OCDE et les critères d’éligibilité à l’Aide publique au développent (APD), a mis en lumière la formalisation par l’UE de la poursuite des préoccupations migratoires nationales sous couvert d’aide au développement.
Des évaluations concluantes de l’éligibilité à l’APD des actions de migration financées par le NDICI ne sont pas possibles, en raison des objectifs généraux du NDICI, d’une formulation vague ou de détails manquants dans les documents de programmation régionale, du manque de contrats de passation de marchés publics, ainsi que du stade précoce de mise en œuvre.
Néanmoins, plus d’un tiers (six sur seize) des actions migratoires identifiées au Niger, en Libye et en Tunisie, considérés comme des pays clés sur les routes migratoires vers l’UE, incluent des éléments qui pourraient limiter leur éligibilité à l’APD. La composante migration de 10 % du NDICI risque donc de réorienter les ressources du développement et de la réduction de la pauvreté vers les objectifs migratoires de l’UE, en particulier la réduction de la migration irrégulière vers l’UE. La formulation et l’évaluation des projets dans le cadre de la composante migration de 10 % du NDICI restent également très opaques pour le public, la société civile, ainsi que pour le Parlement en tant que co-législateurs, ce qui fait obstacle à un suivi efficace pour atténuer ce risque.
Un contrôle efficace est en outre entravé par les modalités de financement flexibles de l’instrument, ainsi que par l’approche de la Commission consistant à financer des activités et des équipements qu’elle considère comme non éligibles à l’APD (par exemple, liés aux retours ou à la gestion des frontières) par le biais de sources de financement sans engagement d’APD.
« Rafistolage »
Ce « rafistolage » des éléments non éligibles à l’APD dans les actions migratoires financées par le NDICI, au lieu de les adapter ou d’y mettre un terme, suggère en outre une priorisation des préoccupations migratoires de l’UE sur la poursuite des objectifs de développement. En effet, un rapport de 2021 du gestionnaire du guichet Afrique du Nord du FFUE dans le rapport d’activité annuel 2021 de la DG INTPA indiquait que jusqu’à ce que le GTT de l’OCDE publie ses lignes directrices, la Commission partait du principe que toutes les activités de gestion des frontières étaient entièrement conformes à l’APD.
Si ces activités devaient devenir partiellement non éligibles, la DG NEAR et la DG INTPA ont estimé que « les éléments non éligibles pourraient être couverts par des contributions, qui ne sont pas tenues de respecter les critères d’éligibilité de l’APD (par exemple, l’AMIF ou partiellement l’ENI n’ont pas d’accord juridiquement contraignant). Conditions d’éligibilité à l’APD). Cette dilution de l’aide au développement complique l’évaluation de la question de savoir si l’engagement de 93 % de l’APD du NDICI est respecté.
Les résultats révèlent en outre que l’UE donne la priorité à des types spécifiques de programmes de migration, la migration, la gestion des frontières et le retour recevant beaucoup plus de financement que, par exemple, le soutien à la migration de main-d’œuvre ou aux voies régulières.
L’UE donne donc actuellement la priorité aux actions migratoires identifiées par l’OCDE comme posant un risque particulier pour l’intégrité de l’APD. Les actions impliquant le renforcement des capacités des gardes-frontières, le renforcement de la gestion intégrée des frontières et la lutte contre le trafic d’êtres humains incluent souvent des éléments qui pourraient limiter l’éligibilité à l’APD. Les actions de retour et de réintégration comprennent des éléments qui semblent non conformes au critère selon lequel les actions d’APD doivent être alignées sur les propres priorités du pays bénéficiaire et ne pas être conditionnées à sa coopération en matière de retours.
Enfin, les actions de protection révèlent une incohérence significative entre la politique de migration et de développement de l’UE. En Libye, les fonds de l’UE (pas nécessairement l’APD) sont dépensés pour la surveillance des frontières afin de sauver/intercepter les personnes, qui sont renvoyées dans des conditions inhumaines dans des centres de détention. L’aide au développement de l’UE est à son tour consacrée à l’amélioration de ces conditions et à l’évacuation des populations.
Tout en offrant un aperçu des premiers stades de sa mise en œuvre, cette étude suggère que la composante migration de 10 % du NDICI est une occasion manquée de mettre en œuvre les enseignements tirés du FFUE et d’exploiter les avantages de la migration en matière de développement, devenant plutôt un outil pour masquer la migration de l’UE.
En outre, les organisations de société civile, dont Oxfam, ont mis en garde contre une utilisation abusive potentielle par les donateurs du nouveau code CAD 15190 (« facilitation d’une migration et d’une mobilité ordonnées, sûres, ordonnée et régulière ») pour signaler des projets visant à contenir la mobilité plutôt qu’à la faciliter, ce qui saper les objectifs de développement. Alors que l’UE qualifie les initiatives visant à prévenir la migration irrégulière avec ce code du CAD et donc poursuivant l’objectif du Pacte mondial pour les migrations de « migration sûre, ordonnée et régulière », la réduction de la migration irrégulière n’équivaut pas à une augmentation de la migration irrégulière, migration plus sûre ou régulière. Cet objectif ne sera atteint que grâce à des actions ciblées visant à renforcer et à améliorer les voies migratoires sûres et régulières, y compris vers l’UE.