Face aux accusations de complicité sur les violations des droits de l’Homme dans certains pays d’Afrique, la Commission européenne a réagi mardi 21 mai. « Parfois, la situation est difficile dans nos pays partenaires » mais ils « restent des États souverains et contrôlent leurs forces nationales », a affirmé une des porte-parole de l’institution, Ana Pisonero. Son homologue Éric Mamer, interrogé lors d’un point presse quotidien, a lui aussi partagé la même analyse : « C’est une situation qui est difficile, qui est mouvante et sur laquelle nous allons continuer à travailler ».
Une enquête, publiée le même jour par des médias internationaux dont Le Monde et le Washington Post avec le collectif de journalistes Lighthouse Reports, révèle comment « l’Europe soutient, finance et participe directement à des opérations clandestines menées dans les pays d’Afrique du Nord pour abandonner chaque année des dizaines de milliers de personnes noires dans le désert ou dans des régions reculées afin de les empêcher de venir dans l’Union européenne (UE) ».
Arrestations arbitraires
L’enquête signale que des réfugiés et migrants au Maroc, en Mauritanie et en Tunisie sont « appréhendés en raison de la couleur de leur peau, emmenés dans des bus et conduits au milieu de nulle part, souvent dans des zones désertes et arides », sans eau ni nourriture.
Certains sont emmenés vers des zones frontalières où ils sont « vendus par les autorités à des trafiquants d’êtres humains et à des gangs qui les torturent contre rançon ».
Depuis plusieurs années, InfoMigrants a publié des dizaines d’articles et de témoignages de migrants racontant les arrestations arbitraires dans les rues ou dans les maisons des Noirs dans ces pays, mais aussi en Libye et en Algérie, et les refoulements dans des zones désertiques.
À l’été 2023, la rédaction avait récolté plusieurs récits d’exilés relatant les interpellations dans les rues de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie, et les expulsions dans le désert, à la frontière avec l’Algérie et la Libye – des pratiques qui n’ont jamais cessé depuis et qui se sont mêmes accentuées ces derniers jours.
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En fin d’année, InfoMigrants avait révélé que des exilés étaient discrètement transmis par des forces tunisiennes à des Libyens, et transférés dans les prisons du pays. « Le véhicule s’est arrêté au niveau d’une montagne de sable. De l’autre côté, c’est la Libye. Les Tunisiens sont montés sur la montagne pour annoncer leur présence. Cinq minutes après, on a entendu des klaxons venus d’en face. Les policiers ont alors braqué leur kalachnikov sur nous et nous ont dit : ‘Haya, haya’ [‘allez-y’, en français, ndlr] en montrant la Libye. Tout le monde avait peur », avait expliqué Moussa, un Guinéen. De l’autre côté, des milices libyennes les attendaient pour les conduire dans des centres de détention.
Au Maroc aussi, les témoignages recueillis de ce type sont nombreux. Le dernier date de février 2024 : un Guinéen avait détaillé à la rédaction ses multiples refoulements dans le désert, vers Ourzazate (sud du Maroc) et Beni Melal (centre du Maroc).
Des fonds de l’UE utilisés pour refouler des migrants dans le désert
Selon l’enquête de Lighthouse Reports publiée mardi, ce « système de déplacement de masse (…) fonctionne notamment grâce à l’argent, les véhicules, l’équipement, le renseignement et les forces de sécurité fournis par l’UE et les pays européens ».
Le quotidien Le Monde écrit qu’en Tunisie les « pick-up Nissan utilisés par la police pour arrêter les migrants correspondent à des modèles livrés par l’Italie et l’Allemagne entre 2017 et 2023 ».
Au Maroc, les « 4×4 Toyota Land Cruiser, utilisés lors d’arrestations dont les images ont été diffusées sur les réseaux sociaux (…) correspondent aux modèles achetés par l’Espagne, puis par l’Europe » dans le cadre d’un accord entre les deux pays.
En Mauritanie enfin, l’UE finance « la reconstruction de deux centres de rétention. Ceux-là mêmes où des migrants sont enfermés avant d’être envoyés dans le désert, acheminés dans des pick-up Toyota Hilux en tout point similaires à ceux livrés par l’Espagne en 2019 », peut-on lire dans l’enquête.
« Des exemples, parmi d’autres, qui démontrent que ces opérations, contraires à la Convention européenne des droits de l’Homme, bénéficient du soutien financier de l’UE et de ses États membres », insistent les journalistes.
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Depuis 2015, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie ont reçu 400 millions d’euros pour la gestion des frontières via le fonds fiduciaire d’urgence (FFU). Une somme à laquelle s’ajoutent d’autres aides financières accordées directement par des pays européens à ces trois États africains.
D’après Lighthouse Reports, les instances de l’UE ont parfaitement connaissance d’une partie de ces arrestations arbitraires, contraires au droit international. Dans le cas du Maroc par exemple, la Commission européenne avait en 2019 fait référence à une « vaste campagne de répression » contre des Subsahariens et des expulsions « illégales » vers des zones reculées dans un document sur les financements de l’UE au royaume chérifien. Sans pour autant mettre fin à son partenariat.