Le calme règne dans cette partie du quartier Souissi, à Rabat. Un peu à l’écart de la très passante avenue Ben Barka, les hauts murs blancs jonchés de bougainvilliers parcourent la petite rue et cachent des villas cossues, où vivent des familles marocaines aisées et des expatriés européens. En cette chaude matinée du mois de mai, un groupe d’une trentaine de personnes patientent dans la quiétude de l’endroit, devant le bureau de l’Organisation internationale des migrations (OIM) signalé par un drapeau. Certaines sont assises sur le trottoir, d’autres, dont des femmes et des enfants, attendent debout en tenant fermement des valises à roulettes. Deux grands vans noirs stationnent devant eux, moteur éteint, coffres grands ouverts.
Pour ces ressortissants d’Afrique subsaharienne, c’est bientôt l’heure du départ. Après plusieurs années passées au Maroc, ils rentrent chez eux, éreintés par leur expérience dans le royaume. En 2021, 2 377 personnes ont bénéficié de l’assistance au retour volontaire vers leurs pays d’origine – dont 98% en Afrique – organisée par l’OIM. Un nombre trois fois supérieur à celui de l’année précédente. Chaque année depuis 2014, plus de 1 000 personnes en moyenne font le choix du retour, contre quelques centaines auparavant.
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Pourtant, depuis sa réintégration au sein de l’Union africaine (UA) le 30 janvier 2017, Rabat se présente régulièrement comme le référent africain des questions liées à la migration. Début 2018, c’est le Maroc qui a été choisi pour présenter l’Agenda africain pour la migration, lors du 30e sommet de l’organisation à Addis-Abeba, en Éthiopie. À l’international aussi, le royaume s’est fait une place sur le sujet. Notamment via son élection à la tête de la conférence pour l’adoption du Pacte de Marrakech en 2016, qui promeut un renforcement de la coopération internationale pour des « migrations sûres et régulières ».
L’administration, « une torture mentale »
Cette toute nouvelle stature est venue conclure, sur son sol, une profonde refonte de sa politique migratoire. Dans le cadre du renforcement de la coopération Sud-Sud, le Maroc a lancé en 2013 sa « Stratégie nationale d’immigration et d’asile ». Le texte, inédit, a octroyé aux migrants, « réguliers » ou non, des droits essentiels, comme l’accès à des soins de santé gratuits, ou encore la possibilité de scolariser leurs enfants dans les écoles publiques. Le document a été suivi de deux vagues de régularisation des exilés sans-papiers, en décembre 2014 et en décembre 2016. Un peu plus de 40 000 personnes au total ont été concernées par la décision royale.
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Depuis, la dynamique s’est enrayée. Aucune autre réforme n’est venu faciliter l’accès aux droits pour les migrants, et plus aucune vague de régularisation n’a été décidée par le royaume. Pire, de nombreuses personnes qui avaient pu bénéficier des précédentes sont retombées dans l’illégalité, car dans l’impossibilité de faire renouveler leur titre de séjour obtenu en 2014 ou 2016.
En se focalisant sur l’intégration des migrants « réguliers » et des réfugiés, la nouvelle politique migratoire marocaine a mis de côté une part importante des exilés installés sur son sol, les sans-papiers, qui en attendant tentent de survivre. À l’instar de Sara, une demandeuse d’asile ivoirienne, pour qui le quotidien au Maroc relève du parcours du combattant. Sans papiers, sans travail régulier, la jeune femme dit avoir « l’impression d’être dans une impasse ». « Je sens bien que dans la tête, ça ne va pas vraiment. Parfois, j’ai l’impression de devenir folle », avait-elle confié à InfoMigrants devant l’antenne marocaine du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR).
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Salvador, lui, s’est « retrouvé au Maroc par défaut » en octobre 2015, à cause de graves problèmes personnels. Mais très vite, le Camerounais de 33 ans dédie son quotidien à la peinture. Pour vendre des tableaux, il créé son auto entreprise, et avec la vente de ses œuvres, parvient à se loger et à payer son loyer tous les mois.
Sept ans plus tard, Salvador se considère « intégré » à la société marocaine. Mais il n’a toujours pas obtenu des autorités des papiers l’autorisant à séjourner légalement dans le pays. « Malgré tous mes efforts, je suis toujours un migrant, regrette-t-il. L’administration ici, c’est un véritable casse-tête. On a beau tout faire pour leur montrer qu’on est de bons citoyens, ça ne sert à rien. Ils ne veulent toujours pas de nous, les Africains ».
Daniel Nourissat, prêtre à Rabat et engagé dans la cause des migrants au Maroc depuis 17 ans confirme : « Il est très très difficile pour les exilés d’avoir une carte de séjour ». Pour obtenir le fameux sésame, « les personnes doivent présenter un contrat de travail en bonne et due forme et une preuve légale de logement. Mais sans papiers formels d’identité, impossible là non plus d’avoir un travail et un toit de manière licite. C’est le serpent qui se mord la queue ».
Pour survivre, les exilés sont donc contraints de travailler dans le secteur informel. « Une partie ouvrent de petits commerces et importent des produits de leurs pays. Les femmes migrantes vendent des prestations de coiffure, elles font des tresses, explique Daniel Nourissat. Mais tout ça ne les fait pas vivre. Et la fermeture des frontières due à la pandémie a de toutes façons mis un coup d’arrêt à ces activités. Les personnes sont devenues encore plus précaires qu’elles ne l’étaient. À l’église, pendant le coronavirus, on a nourri énormément de gens ».
La fragilité financière dans laquelle se sont retrouvées de nombreuses migrantes les a rendues plus vulnérables aux trafics. D’après le prêtre Daniel Nourissat, au Maroc, « la prostitution des femmes migrantes, souvent des mères célibataires, est considérable ».
« Ce racisme, c’est de la torture »
Salvador pour sa part ne s’inquiète pas vraiment pour sa sécurité financière. Ce qu’il craint plutôt, ce sont les « interpellations brutales de la police » dont sont victimes ses compatriotes africains. « Il suffit que vous soyez noirs. Même les étudiants, qui ont un visa, se font constamment contrôlés. C’est un vrai problème dans cette région du Maroc », assure-t-il, depuis Tanger. « Ce racisme, on est obligé de vivre avec, mais c’est de la torture. On a toujours la peur au ventre. Même quand je marche dans la rue, je ne suis pas tranquille ».
Le racisme quotidien et l’impossibilité d’être en règle poussent de nombreuses personnes à finalement quitter le Maroc, après plusieurs années de tentative d’intégration sur le territoire. Certains envisagent d’abord de partir pour l’Europe. « Mais le renforcement des contrôles dans la Méditerranée les fait bifurquer vers le sud, où ils prennent la mer pour les Canaries, déplore Daniel Nourissat. Avec les conséquences que l’on connaît ». Depuis le début de l’année, plus de 200 personnes sont mortes dans l’Atlantique, d’après les chiffres de l’OIM. Selon un bilan dressé par l’ONG espagnole Caminando Fronteras, plus de 4 000 migrants ont perdu la vie dans cette zone l’an dernier.
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Les autres restent, eux, bloqués dans le royaume. La seule échappatoire qui pointe alors est un retour au pays.
Devant le bureau de l’OIM à Rabat, Aboubacar fait la queue, avec un ami. Le jeune Guinéen de 19 ans revient tout juste de l’enclave espagnole de Ceuta. « Je n’ai pas réussi à passer, j’ai été stoppé par le grillage, raconte-t-il, amer. Alors je suis revenu ici. C’est le destin ». Arrivé au Maroc il y a trois ans, il a régulièrement travaillé « comme employé de maison, ou dans les rues, comme nettoyeur ». « Mais on ne veut jamais de moi bien longtemps. Et puis, le racisme ici, c’est trop dur, ajoute-t-il. La police nous chasse tout le temps ». Après plus d’une heure d’attente, devant l’employée de l’OIM, Aboubacar explique enfin la raison de sa venue : « Je voudrais des renseignements pour pouvoir rentrer chez moi ».