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Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit, Politologue
Entre le Maroc et l’Espagne, assurément, il y a du dégel dans l’air. A preuve, le lundi 17 janvier courant, le discours résolument optimiste du Roi Felipe VI, au Palacio Real, devant le cercle diplomatique des ambassadeurs étrangers accrédités dans ce pays. Le Maroc a été ainsi le seul à être cité dans l’allocution royale. Le Souverain a appelé à un «avenir où le Maroc et l’Espagne seraient unis pour affronter les défis d’aujourd’hui et de demain». Il a aussi insisté sur le «caractère stratégique de la relation bilatérale et l’interdépendance des deux pays». Il a encore appelé de ses vœux à «redéfinir ensemble une relation pour le XXIème siècle, établie sur des piliers plus forts et plus solides». Enfin, pour ce qui est de la région et en particulier des rapports entre Rabat et Alger, il a souligné la nécessité d’un espace commun de paix, stabilité et de prospérité au Maghreb.
Le même jour, c’est le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, qui a donné une interview au quotidien El Diaro. Dans ce même registre, il a souhaité que «l’ambassadrice du Maroc regagne son poste» après son rappel à Rabat, le 18 mai dernier, suite à la tension entre les deux pays. Il a ajouté qu’en matière de migration, la coopération était primordiale pour Madrid; qu’il fallait «éviter toute décision unilatérale»; et que son pays, à propos du Sahara, apporte son «soutien total pour une solution capable de mettre fin à ce conflit». Recevant le même jour le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholtz, il a tenu à préciser devant son hôte que «pour l’Espagne, le Maroc est un partenaire stratégique».
Parallèle… avec Berlin
Du mieux, donc – du dégel… Comme il l’a expliqué, sa relation avec le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, est «volatile». Le premier contact entre les deux responsables a eu lieu voici quatre mois, le 21 septembre dernier, lorsque le ministre espagnol, nommé le 12 juillet, avait téléphoné à son homologue marocain. Le contact suivant date de la fin novembre, Nasser Bourita s’excusant de ne pouvoir assister au Forum de l’Union pour la Méditerranée (UPM), le 29 novembre, à Barcelone. Une absence qui avait été regrettée par José Manuel Albares qui a déclaré à cette occasion «qu’il aurait aimé» que le ministre participe à cette rencontre, car sans aucun doute, cela aurait été le cadre idéal pour une approche tangible avec le Maroc.
Pas de rencontre bilatérale donc. L’idée qui prévaut c’est que Rabat considère que Madrid doit faire un «grand geste». Lequel ? Le parallèle avec Berlin est évidemment présent dans les esprits. L’on ne cache pas que l’Allemagne, qui a connu, elle aussi, une crise avec le Maroc, le printemps dernier, a su faire table rase du contentieux et faire montre d’une nouvelle disposition d’esprit, offrant le meilleur gage d’une normalisation bilatérale. Il faut rappeler à cet égard le message adressé par le Président de ce pays à SM le Roi, à l’occasion du Nouvel an, qui a été un signe fort d’une ferme volonté dans ce sens : vastes réformes sous la conduite du Souverain, soutien à l’initiative d’autonomie comme une «bonne base» pour la résolution de la question du Sahara marocain, «contribution majeure en faveur de la stabilité et du développement durable de la région, reconnaissance de l’engagement actif pour le processus de paix en Libye» et enfin une invitation officielle à effectuer une «Visite d’Etat», afin de «sceller un nouveau partenariat entre les deux pays».
Principes d’un nouveau partenariat
Dans son discours du 20 août dernier, à l’occasion de la commémoration du 68ème anniversaire de la «Révolution du Roi et du Peuple», le Souverain avait en effet tenu à baliser le champ futur des relations entre Madrid et Rabat. Il avait ainsi appelé à «inaugurer une nouvelle étape sans précédent dans les relations entre les deux pays». Il avait cadré cellesci sur la base des principes suivants : confiance, transparence, respect mutuel et respect des engagements. La communication entre les deux capitales a-t-elle avancé depuis ? Dans l’appréhension de la question nationale des provinces méridionales récupérées, Madrid a une connaissance à nulle autre pareille des véritables termes de référence : c’est l’ancienne puissance administrante du Sahara occidental; elle a rétrocédé au Maroc ce territoire, alors non autonome, en signant avec le Maroc les accords de Madrid du 14 novembre 1975, dûment enregistrés à l’ONU et ratifiés cinq jours plus tard, le 19 novembre 1975 par la Chambre espagnole des Cortès par 345 voix, 4 contre et 4 abstentions.
Cela dit, les intérêts bien compris des deux pays poussent à une relance de la coopération sur des bases encore plus élargies et plus consolidées. Madrid multiplie des déclarations dans ce sens; celles-ci doivent faire sens, témoigner d’une approche et d’une vision renouvelées des rapports avec le Maroc. Le matelas des intérêts communs est important. Ainsi, depuis 2014, l’Espagne est devenue le premier partenaire commercial du Royaume, surclassant la France, tant au niveau des importations que des exportations (les flux dépassent les 144 milliards de DH). Les importations sont de l’ordre de 77 milliards de DH (16% des importations du Maroc); les exportations, elles, dépassent les 68 milliards de DH (24% des exportations). La balance commerciale est encore déficitaire pour le Maroc, mais elle se réduit progressivement (170% en 2011 et 125% aujourd’hui).
Les intérêts économiques du voisin ibérique sont importants au Maroc et à l’échelle continentale. Le Maroc est le premier partenaire en Afrique, en concentrant 46% des exportations espagnoles. L’on compte dans le Royaume une forte implantation de 1.000 entreprises dans divers secteurs, réparties entre des centaines de PME et de grands groupes.
Avantages et opportunités
Les avantages sont multiples : le Maroc est un marché de consommation, de proximité, opportunités de sous-traitance (coût de la maind’œuvre, connectivité logistique, fiscalité incitative, cadre juridique). Il faut ajouter de nombreuses opportunités d’investissement dans des industries d’exportation, les énergies renouvelables, le traitement de l’eau… D’autres secteurs peuvent faire l’objet d’investissements conjoints : industrie agroalimentaire, chimique, transport ferroviaire à grande vitesse, digitalisation industrielle,.. Mais il y a plus. Telle la dimension humaine des rapports entre les deux pays : les flux touristiques dans les deux sens (900.000 visiteurs marocains et 2,5 millions de touristes espagnols, une forte communauté marocaine de plus de 800.000 personnes, quelque 5.000 étudiants marocains,…).
Dans l’agenda diplomatique, ce qui est attendu à Rabat c’est que la nouvelle tonalité exprimée officiellement par le Roi Felipe VI et par le chef du gouvernement et son ministre des Affaires étrangères se prolonge par des initiatives et des actes. Alors, sera réactivée la réunion de haut niveau Maroc -Espagne, reportée il y a treize mois par suite de la pandémie Covid19. Une diplomatie de mouvement donc, qui doit préfigurer la volonté commune d’un véritable partenariat stratégique renforcé, à la hauteur des ambitions des deux pays.
Source : https://fnh.ma/article/alaune/maroc-espagne-en-attendant-un-grand-geste-de-madrid