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Depuis le début de l’année, les demandes des titres de séjour obéissent à des mesures dont l’application a été durcie, particulièrement pour les ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne. Les communautés établies au Maroc se sont interrogées sur les circonstances de ce changement, d’autant que les lois n’ont pas été modifiées.
Après la levée de la fermeture des frontières du Maroc, décidée précédemment à cause de la pandémie de la Covid-19, les ressortissants étrangers établis dans le royaume se sont confrontés à un nouveau dilemme. D’ordre administratif cette fois-ci, il s’agit d’un durcissement sur la mise en œuvre des dispositions relatives à la carte de séjour. De nombreux résidents de nationalités d’Afrique subsaharienne se sont confrontés à une obligation de quitter le territoire, en cas de retard sur leur demande. Bien que les lois en la matière ne visent pas des nationalités en particulier, quatre témoignages recueillis par Yabiladi ont confirmé que cet usage se multipliait depuis le début de l’année 2022 et qu’il semble plus systématisé.
«Lorsqu’on se présente à la préfecture pour entamer les démarches, avec un retard de 15 à 30 jours, on découvre qu’il faut sortir du pays avant de pouvoir revenir et introduire la requête», a indiqué Fabienne*, ressortissante camerounaise résidente au Maroc depuis onze ans. «Le problème est que cette mesure est devenue quasiment automatique, sans que cela n’ait été notifié aux étrangers un peu plus tôt, notamment ceux dont la date d’expiration du titre de séjour était proche», a-t-elle indiqué.
Une source associative a souligné auprès de Yabiladi que ce durcissement concernait les travailleurs résidents, mais aussi les étudiants, «ce qui est contraignant pour de nombreux jeunes, salariés, responsables en entreprises ou pères et mères de familles». Selon la même source, il ne s’agit pas pour autant d’une nouvelle mesure. Toujours est-il que «les raisons et les circonstances où son application rigoureuse a été décidée ne sont pas connues». L’incompréhension a poussé des membres de la communauté sénégalaise à constituer une coordination, pour demander à être informés de manière formelle.
«Les retards ne sont plus tolérés, mais ce qui est étonnant est qu’il est demandé automatiquement de « sortir du territoire puis de revenir ». Or, il existe d’autres alternatives qui ont été d’usage plus souvent, comme le versement d’une amande, la présentation d’une lettre faisant preuve de bonne foi, après une courte comparution devant le procureur…»
Une application renforcée de la loi 02.03 ?
Depuis sa promulgation en novembre 2003, la loi 02.03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières est le texte qui régit les demandes de titre de séjour et son renouvellement. Ces dispositions prévoient, entre autre, un éloignement du territoire national en cas de retard. Mais le recours à cette mesure n’a pas toujours été l’option principale. «Dès lors que le cadre juridique est posé, les autorités sont en droit de le mettre en œuvre et nous ne jugeons pas la loi en elle-même», indique la même source associative.
«Seulement, nous sommes en droit d’être informés sur les changements survenus, en connaître les raisons, savoir si cela a été éventuellement décidé par une circulaire administrative, ou une directive adressée aux préfectures, surtout que l’expulsion est plutôt ordonnée en cas d’infraction grave ou de crime puni par la loi. On ne peut pas associer l’ensemble des résidents étrangers à cela.»
Dans le contexte où la loi 02.03 a été votée, la reconduction a été envisagée particulièrement pour «nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou pour la sécurité publique», tel que prévu dans l’article 27. Est prévue également une dérogation aux dispositions de l’article 26 concernant les étrangers qui ne peuvent faire l’objet d’une expulsion, lorsque ces derniers sont condamnés ou ont commis une infraction «liée au terrorisme, aux mœurs ou aux stupéfiants». Mais l’article 12, lui, reste général. Il indique que «l’étranger doit quitter le territoire marocain à l’expiration de la durée de validité de sa carte d’immatriculation, à moins qu’il en obtienne le renouvellement ou que lui soit délivrée une carte de résidence». Ces termes globaux peuvent donner lieu à des reconductions plus fréquentes.
Dans l’article 21, un éloignement peut ainsi être ordonné par décision administrative, «si l’étranger s’est maintenu sur le territoire marocain au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée au territoire marocain (…)». Aussi, cette mesure est activée «si l’étranger n’a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour et s’est maintenu sur le territoire marocain au-delà du délai de 15 jours, suivant l’expiration du titre du séjour».
L’obligation de quitter le territoire n’est pas la seule option
Cependant, l’article 44 de la loi 02.03 montre que l’éloignement du territoire national n’est pas le recours administratif ou juridique principal qui peut être appliqué aux retards de renouvellement ou de primo-demande de titre de séjour. Il prévoit une amende de 3 000 à 10 000 dirhams et un emprisonnement de un mois à six mois, «ou de l’une de ces deux peines seulement», pour «tout étranger dont la carte d’immatriculation ou la carte de résidence est arrivée à expiration et qui ne formule pas, dans les délais prescrits par la loi, une demande de renouvellement, sauf cas de force majeure ou d’excuses reconnues valables».
Bien que ce même article prévoie un doublement de la peine en cas de récidive, les usages indiquent que les retards sur la formulation des demandes sont souvent pénalisés par une amende inférieure à 3 000 DH, d’après les témoignages recueillis. Avec l’application rigoureuse de l’éloignement, les ressortissants qui ont été bloqués dans leurs pays d’origine à cause de la fermeture des frontières se retrouvent triplement impactés parmi les communautés étrangères établies au Maroc.
En attendant le rétablissement des vols internationaux, des membres de la communauté sénégalaise ont précédemment fait part à Yabiladi de leurs inquiétudes sur les difficultés administratives qu’ils pourraient confronter à leur retour. Pour cause, leurs titres de séjour ont expiré dans la période où il leur a été impossible de rentrer ou de bénéficier d’un rapatriement vers le royaume, afin de formuler leurs demandes dans les temps.