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Le lien entre migrations et terrorisme est dangereux et stigmatisant, contribuant à criminaliser les personnes en migration. Il alimente les discours populistes et justifie les politiques sécuritaires mises en œuvre depuis les attentats de New York en 2001 et au-delà. Rappelons que le Maroc, en novembre 2003, avait adopté la loi n°02-03 relative à l’entrée et du séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières en même temps que la loi n°03-03 relative à la lutte contre le terrorisme consécutivement aux attentats de Casablanca de mai 2003. Cette corrélation établie de fait par le gouvernement marocain avait participé au caractère sécuritaire et répressif de la loi n°02-03 encore en vigueur aujourd’hui, en attendant le nouveau projet de loi annoncé en 2013.
Ce lien n’est donc pas récent et dans les discours, les migrations sont très souvent associées, voire amalgamées, à toute sorte de « menaces » et « risques », telles que la criminalité transfrontalière, le grand banditisme, la traite des personnes, le trafic de stupéfiants, le terrorisme, etc. Les moyens mis en place pour lutter contre ces menaces sont quasi-identiques et répondent au même objectif : renforcer les systèmes de gestion et de contrôle des frontières. L’Union européenne, avec ses Etats membres, en a fait son cheval de bataille depuis le début des années 2000, cherchant à tout prix à fermer ses propres frontières aux « menaces extérieures » et allant jusqu’à externaliser toujours plus au sud cette lutte contre le terrorisme et les migrations irrégulières. L’exemple du Niger est particulièrement parlant, notamment au travers de la mission Eucap Sahel Niger de l’UE lancée en 2012 dont le mandat initial était « la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée » et qui a été élargi en 2014 à la lutte contre « l’immigration illégale »(3).
Le Maroc et ses partenaires du pourtour de la Méditerranée suivent la même voie en validant ce type de déclaration comme celle du dernier Dialogue 5+5, ou en négociant des partenariats ou accords de coopération sur la base de cette liaison dangereuse. En juillet 2017, le Maroc participait à Séville à la réunion du G4(4) afin de discuter de la coopération régionale en matière de politiques de sécurité, dont la lutte antiterroriste et contre les migrations irrégulières. En octobre 2017, il était invité à la réunion du G6(5) afin de « débattre de la question des politiques migratoires et de la lutte contre le terrorisme ». À chacune de ces rencontres, le Maroc, en tant que partenaire incontournable sur ces questions, a été salué pour les efforts déployés en faveur de « la lutte contre les trafics [ndlr : dont les migrations] »(6).
La logique portée par de telles politiques et rencontres de haut niveau criminalisent les migrations au détriment du respect du droit international en matière d’asile et des droits fondamentaux de ces personnes qui ont fui des zones géographiques touchées par des actions terroristes ou sous le contrôle de groupes terroristes pour chercher une protection internationale ailleurs. Elles sont doublement victimes, à la fois du terrorisme dans leur pays d’origine ou de résidence, mais aussi des politiques antiterroristes ou de lutte contre les migrations irrégulières mises en œuvre pour endiguer un « fléau » équivoque.
Dans un contexte international dans lequel les personnes de confession musulmane, notamment les Marocain-e-s résidant à l’étranger, sont souvent les cibles de discriminations accrues et de violations de leurs droits fondamentaux parce que perçues comme une « menace terroriste potentielle », l’association confuse entre immigration irrégulière, d’un côté, terrorisme et extrémisme violent, de l’autre, n’en est que plus dangereuse aujourd’hui.
Le Maroc, qui accueillera en décembre 2018 le Forum international sur la migration et le développement co-présidé avec l’Allemagne, a été reconduit, depuis septembre 2017, à la présidence du Forum mondial de lutte contre le terrorisme avec les Pays-Bas (nouveau mandat de deux ans). Il convient de se saisir de cette opportunité inédite pour bien dissocier les deux questions, sans en nier l’actualité ni l’intérêt.
(1) Instauré en 1990, le Dialogue « 5+5 » réunit 5 Etats de la rive sud de la Méditerranée : Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie et 5 Etats de la rive nord : Espagne, France, Italie, Malte et Portugal avec l’objectif d’engager un processus de coopération régionale en Méditerranée occidentale.
(2) http://www.maroc.ma/fr/actualites/declaration-finale-la-conference-des-ministres-des-ae-du-dialogue-55salue-le-role-de-sm
(3) https://eeas.europa.eu/csdp-missions-operations/eucap-sahel-niger/11058/propos-deucap-sahel-niger_fr
(4) Le G4 comprend l’Espagne, la France, le Maroc et le Portugal. Il a été créé en janvier 2013 à Rabat afin de renforcer la coopération dans le domaine de la gestion des flux migratoires, de la lutte contre le trafic de stupéfiants et de la lutte contre le terrorisme. Voir la déclaration commune des Ministres de l’Intérieur du Maroc, de l’Espagne, de la France et du Portugal Rabat du 25 janvier 2013.
(5) Le G6 (initialement G5) est un groupe de travail informel créé en 2003pour discuter de la mise au point des nouveaux mécanismes à proposer à l’UE lors des Conseils Justice-Affaires-intérieures (JAI). Il réunit les pays les plus peuplés de l’Union européenne, soit l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. Le G5 est devenu G6 avec l’arrivée de la Pologne en 2006.