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La pandémie de coronavirus a mis à mal la situation économique de plusieurs personnes dans le monde. Les migrants subsahariens ne sont pas en reste. Ils sont l’une des catégories les plus vulnérables de la société marocaine. Dans ce reportage, nous sommes allés à la rencontre de migrants subsahariens et de trois associations d’aide aux migrants. Le constat est alarmant.
Considéré comme un pays de transit vers l’Europe pour beaucoup de Subsahariens, l’idée de transit est vite anéantie par l’impossibilité pénuciaire ou sécuritaire de traverser les frontières sans visa. Beaucoup de migrants n’avaient ni envie ni prédilection de s’installer au Maroc. Cependant, devant le fait accompli, beaucoup s’y attachent et choisissent d’y rester, malgré des difficultés pour y travailler. Fin 2017, l’Etat marocain a régularisé près de 50.000 migrants en deux étapes. Les derniers chiffres estiment le nombre de migrants subsahariens à près de 80.000 installés au Maroc, qu’ils soient régularisés ou clandestins. Cependant, ces chiffres restent en deçà de la réalité. Trouver du travail est plus facile pour les migrants régularisés. Néanmoins, pour les migrants clandestins, qui constituent une grande partie du lot, les petits boulots dans le secteur informel s’enchaînent. Les salaires sont dérisoires et ils ne sont pas déclarés à la CNSS.
Selon les explications de Mehdi Alioua, sociologue, professeur universitaire et membre fondateur du Groupe antiraciste d’Accompagnement et de Défense des Etrangers et Migrants (GADEM), il y a trois catégories de migrants subsahariens au Maroc. La première est en situation régulière, celle qui a pu obtenir son titre de séjour et qui est généralement la plus aisée. Ce sont des migrants qui ont pu arriver au Maroc par voie légale ou illégale, et qui ont donc des moyens plus élevés que les catégories suivantes. Cela ne signifie cependant pas qu’ils ne souffrent pas des répercussions de l’arrêt de travail induit par le confinement. La deuxième catégorie est très fragile économiquement, ce sont les migrants arrivés légalement mais qui n’ont pas de titre de séjour. En somme, ceux-là ont un peu plus d’argent ou de la famille qui peut aider financièrement depuis leur pays d’origine. Ils ont pu trouver du travail malgré leur situation irrégulière. Au début du confinement, ils avaient assez pour subsister pendant un mois environ, explique M. Alioua, mais avec le prolongement de l’état d’urgence sanitaire, les choses se corsent. La troisième catégorie est constituée par les migrants clandestins, qui ne travaillaient pas avant le confinement et dont la situation est la plus précaire de toutes. Beaucoup pratiquent la mendicité ou des petits boulots au jour le jour. La plupart d’entre eux sont des mineurs ou des femmes. Ces migrants arrivent généralement à travers les frontières algériennes entre Maghnia et Oujda, précise M. Alioua. Et d’ajouter que beaucoup de raisons les poussent à quitter le pays, comme la pauvreté, la recherche d’un avenir meilleur, une menace sur leur propre intégrité physique, comme par exemple, les vengeances entre les clans.
A Rabat, comme dans toutes les villes du Maroc, les migrants subsahariens s’organisent en communauté, dans des quartiers précis de la ville. Beaucoup vivaient dans la médina, puisqu’ils pratiquaient diverses activités de commerce aux abords du grand mur de la ville ancienne. Mais avec les rénovations lancées par le Conseil communal de la ville dans cette zone, beaucoup ont du plier bagages. Certains vivent encore dans la médina vu les loyers abordables, mais ils sont rares. Dans les ruelles de cette dernière, nous avons rencontré deux migrants, Aboubakar et Abdoulaye. Deux histoires différentes avec beaucoup de similitudes.
Aboubakar est Sénégalais. Il travaillait comme commis dans une pâtisserie à Bab El Had, mais a du s’arrêter du travail lorsque l’état d’urgence sanitaire a été déclaré. Pour joindre les deux bouts, il travaille comme coursier auprès d’un épicier dans une ruelle enfouie de la médina. Au quotidien, les difficultés sont multiples pour Aboubakar, qui n’a pas d’attestation de déplacement dérogatoire. Il nous explique que le Moqaddem de son quartier lui a livré une attestation à remplir, sans cachet ni signature. Lorsqu’il a voulu faire cacheter son attestation, le Moqaddem était introuvable, même dans l’administration où il travaille d’habitude. Ainsi, Aboubakar ne peut pas se déplacer en dehors de la médina, au même titre que tous ceux qui vivent avec lui sous le même toit.
Abdoulaye est Sénégalais, lui aussi. Il travaillait comme plongeur dans un petit snack, mais a dû s’arrêter pour les mêmes raisons qu’Abubakar. Abdoulaye parle très peu français, donc notre conversation s’est déroulée par phrases mêlées de français et de wolof – le dialecte sénégalais. La communication est un problème qu’Abdoulaye rencontre au quotidien, mais il essaye tant bien de mal d’apprendre la langue locale, afin de s’en affranchir. Abdoulaye n’a pas encore trouvé d’emploi ou de tâche pour pouvoir sauver sa situation financière, alors il subsiste, tant bien que mal.
Beaucoup de migrants que nous avons rencontré ont refusé de se prêter au jeu de la caméra, et ceux qui ont témoigné ont préféré rester sous couvert d’anonymat, par peur d’être reconnus par leurs familles dans les pays d’origine. Pour en savoir plus sur leur situation, nous avons contacté l’Association lumière sur l’Emigration clandestine (ALECMA). Son secrétaire général, Alpha Camara, a été d’une aide précieuse, en nous mettant en contact avec deux autres associations : l’Association des réfugiés et communautés migrantes au Maroc (ARCOM) et l’Assocation d’Appui aux Migrants mineurs (AMM). Nous avons pu les accompagner durant une journée de distribution de kits alimentaires à des migrants subsahariens en situation de vulnérabilité.
Nous arrivons au siège de l’ARCOM alors que les paniers viennent d’être assemblés et préparés pour la distribution. Les paniers contiennent des produits de première nécessité, et sont distribués à raison d’un kit par personne, et non par famille. Cette idée a été initiée par l’ARCOM, qui, selon les explications de sa présidente Christie Grace Niamien, oeuvre généralement dans l’aide des femmes et des enfants. Cependant, avec le contexte épidémique actuel, les trois associations ont décidé de joindre leurs efforts pour aider une catégorie plus vaste et inclusive de migrants. En tout, 100 kits seront distribués cette journée qui compte comme première phase, des migrants qui habitent à Hay Nahda 1 et 2, Youssoufia et Taqaddoum.
Les associations ont déjà préparé leurs listes de bénéficiaires, et servir tout le monde est impossible à ce stade. Alpha Camara nous explique qu’il est très difficile pour les associations de sélectionner les bénéficiaires. La question qui se pose concerne les critères d’un migrant vulnérable. Cela est d’autant plus compliqué puisque, dans la conjoncture actuelle, tout le monde est soudainement tombé dans une situation de vulnérabilité, clarifie-t-il. Un point de repère est défini pour retrouver les bénéficiaires, mais beaucoup n’ont pas d’attestation de déplacement dérogatoire, et sont donc incapables de rejoindre le point de repère. Nous nous déplaçons donc jusqu’au domicile de tout un chacun pour lui remettre le kit alimentaire qui lui est destiné.
Nous arrivons à Douar Hajja, l’un des quartiers populaires de Rabat les plus réputés pour son hostilité. Gaamo Camara, premier responsable de l’AMM nous explique que beaucoup de migrants mineurs vivent dans ce quartier, parce que le loyer y est peu cher, et que les propriétaires permettent à 15 ou 20 migrants de s’installer dans la même maison. Pour un loyer de 2.000 dirhams par mois par exemple, explique Gaamo Camara, 20 personnes payent 100 dirhams chacun. C’est un mode opératoire qu’il est impossible de retrouver ailleurs, dans d’autres quartiers de Rabat. Cependant, l’heure est grave, puisque beaucoup de ces migrants risquent actuellement l’éviction faute de pouvoir payer leur loyer, fait savoir Gaamo Camara. Dans ce quartier particulièrement malfamé, beaucoup de propriétaires recourent à des voyous pour agresser les migrants tenaces qui refusent de quitter le domicile d’un propriétaire. C’est déjà arrivé plusieurs fois s’indigne Gaamo Camara : des migrants reçoivent des menaces de mort ou sont agressés physiquement, et les autorités répondent rarement à leurs appels. La première question qu’on leur demande est « y a-t-il du sang ? », condition pour intervenir, précise-t-il.
Les propos de Gaamo Camara sont confirmés par 5 migrants que nous rencontrons à Douar Hajja. Trois Sénégalais, un Libérien et un Guinéen. Ils reçoivent 5 kits alimentaires mais cela demeure insuffisant puisqu’ils vivent à 20 dans un appartement de trois chambres, et qu’ils risquent actuellement l’éviction.
Cette crise du coronavirus a ouvert les yeux de plusieurs migrants sur la réalité de l’immigration, explique Alpha Camara. en effet, assure-t-il, beaucoup souhaitent rentrer chez eux à la fin de la pandémie. Les migrants ont besoin d’espoir dit-t-il, et les autorités devraient se saisir de cette conjoncture difficile que traverse le Maroc pour leur donner cet espoir, en lien avec la politique migratoire. La nouvelle politique migratoire du Maroc adoptée par le pays en 2014 a été imposée par la mutation fondamentale qu’a connue le Maroc : de territoire de transit, il est devenu une terre d’accueil pour les immigrés. Si l’on veut accueillir des migrants, il faut les aider à acquérir les moyens de rester.
Alpha et Gaamo Camara sont deux frères guinéens, arrivés au Maroc depuis plusieurs années déjà, et qui ont réussi à régulariser leur situation. Pour venir en aide à la communauté de subsahariens clandestins dont ils ont jadis fait partie, chacun d’eux a créé une association qui est devenue aujourd’hui pionnière dans son domaine de prédilection. Lorsque nous les quittons, à la fin de la journée, nous aurons assez vu de la misère d’une communauté des plus vulnérables, encore plus affligée par le confinement et l’épidémie. Mais nous aurons aussi vu beaucoup de solidarité entre les communautés subsahariennes, abstraction faite des nationalités. Malgré la précarité, la fragilité, et la pauvreté qui guette, « même si c’est difficile, j’aime le Maroc » est une phrase que nous aurons entendu de plusieurs voix.