RFI : Dans quel état d’esprit les responsables politiques européens et africains abordent-ils cette rencontre ?
Geert Laporte : Ce sommet arrive avec beaucoup de retard. Le dernier avait eu lieu à Abidjan en 2017 et, normalement, ces rendez-vous ont lieu tous les trois ans. Mais quelques jours après le lancement par l’Union européenne de sa stratégie avec l’Afrique, en mars 2020, le Covid est arrivé et une partie du monde s’est confinée. L’enthousiasme qui a accompagné cette présentation n’est plus là. La France fait beaucoup d’efforts, Emmanuel Macron fait beaucoup d’efforts pour faire croire que ce sera un nouveau début de cette relation Europe-Afrique. Mais du côté africain, j’ai l’impression que les réactions sont assez faibles.
Comment expliquez-vous ce manque d’enthousiasme du côté des dirigeants africains ?
Du côté africain, il y a cette attitude qui fait qu’après plusieurs sommets avec de grandes déclarations, de grands mots, avec des présidents qui se sont exprimés sur un tout nouveau partenariat, j’ai l’impression qu’il y a un certain scepticisme. Les dirigeants africains ont réagi d’une manière assez attentiste. L’Europe veut faire de l’Afrique son partenaire préféré, mais est-ce que l’Europe est prête à faire des concessions ?
Les pays africains ont peur que ce sommet ne va pas tenir compte des agendas africains en ce qui concerne la migration, la transformation verte, en ce qui concerne la paix et la sécurité. Le défi de ce sommet, c’est finalement de savoir si les deux côtés vont négocier l’un avec l’autre d’égal à égal ou si ce sera toujours une relation de dépendance. Cela reste un partenariat asymétrique, l’Afrique a l’impression que l’Europe parle beaucoup de partenariat, mais qu’elle ne tient pas ses promesses et qu’elle n’est pas prête à faire des concessions.
Et de son côté, qu’attend l’Union européenne de ses partenaires africains ?
L’Union européenne est très nerveuse. Elle est consciente du fait que l’Afrique a le choix entre différents partenaires : la Chine, la Turquie, la Russie… Surtout dans les pays du champ de la France, comme le Mali, la RCA et autre. L’impression existe que le côté africain veut changer cette relation de pouvoir en démontrant qu’il a le choix. Et ça, ça rend le côté européen assez nerveux, d’où les promesses européennes d’investir plus en Afrique, de mobiliser des financements, des investissements, de l’aide internationale jusqu’à des montants que l’on n’avait jamais vus, assez impressionnants. On parle de plusieurs centaines de milliards d’euros que l’Europe promet à l’Afrique. Et le côté africain n’est pas convaincu de cette réalité, il prend une certaine distance vis-à-vis de cet enthousiasme européen.
Ce sommet, qui devait initialement avoir lieu à l’automne 2020, se déroule finalement sous la présidence française de l’Union européenne. Est-ce que cela peut avoir une influence sur les discussions ?
C’est un pays qui a un vrai intérêt dans cette relation avec l’Afrique, vu son histoire. Du côté africain, on a la présidence sénégalaise de l’UA, donc le tandem Sénégal-France est un tandem très fort. Mais de l’autre côté, il ne faut pas oublier que la France est parfois très controversée en Afrique. Il y a pas mal d’États africains qui ne font plus la même confiance. Une partie de l’opinion, surtout jeune, pense que la France n’a pas toujours été cohérente. Elle a soutenu certains leaders dans certains États dysfonctionnels, notamment parce qu’elle avait peur de perdre du terrain vis-à-vis de la Chine et d’autres pays.
Vous le disiez, la France est montrée du doigt pour son attitude avec certains chefs d’État controversés, mais l’Europe aussi finalement va accueillir des dirigeants qui sont parfois critiqués pour la gestion des droits de l’homme dans leur pays…
Ce que l’on remarque dans l’agenda de ce sommet, c’est que la question de la gouvernance a presque été entièrement évacuée des débats. Parce que le côté européen sait parfaitement qu’elle ne peut pas traiter de ce thème-là de manière cohérente. L’Europe veut éviter un débat de sourds sur ce thème. L’UE cherche des alliés et ces alliés peuvent avoir un passé assez controversé en matière des droits de l’homme. C’est le cas du Rwanda, devenu le chouchou européen, alors que le pays fait l’objet de beaucoup de critiques en matière de droit de l’homme. Avant, on pouvait passer un sommet à discuter autour de Mugabe [l’ancien président du Zimbabwe, NDLR]. Aujourd’hui, ça ne serait plus possible. L’Europe veut éviter que cela pollue l’agenda, éviter que ça ait des conséquences assez graves.
A contrario, un sujet qui risque, lui, d’être au menu de ces discussions, c’est la thématique de l’immigration…
C’est un cas exemplaire où les deux continents devraient pouvoir franchir la barrière entre leurs deux positions. L’Europe veut éviter une migration illégale alors que l’Afrique veut avoir des possibilités de voyager, de travailler et même d’étudier en Europe. Ce sera un grand débat : dans quelle mesure l’Europe est prête à faire des concessions ? Est-ce que l’on parlera uniquement des retours et du contrôle des frontières, des trafics, ou est-ce que l’on aura une volonté de parler aussi de mobilité ?
En 2017, à Abidjan, avait été mis en avant l’idée de « hot spots », des centres d’enregistrement des migrants installés directement dans les États africains. Où en est-on de cette stratégie ?
C’est un échec qui montre le paternalisme européen. Il y avait beaucoup de leaders européens qui rêvaient de ces « hot spots » pour arrêter les migrants africains. Ils pensaient qu’en donnant un peu d’argent aux États africains, ils allaient arrêter les flux. Maintenant, on sait que ça ne marche pas, les États ne sont pas prêts à le faire ou alors contre des milliards d’euros et cet argent, aujourd’hui, n’est pas disponible.